Histoire De France 1758-1789, Volume 19
arrivait de l'anniversaire séculaire de 1562, la Saint-Barthélemy toulousaine. On attendait de grandes fêtes, mais les plus chères au cœur du peuple, c'étaient les expiations protestantes qui précéderaient. Cette grande et profonde masse a gardé un levain étrange. Les horribles événements qui onteu lieu en ce pays lui ont laissé un besoin de tragédies, d'émotions. L'église de Saint-Sernin, née de la fureur du taureau qui traîna jadis le martyr, cette superbe église de sang, sacrée par la première croisade et les massacres de l'Asie, rougie du sang albigeois et des massacres de l'Europe, cette église, des cryptes aux tours, sue la mort. Le peuple, en ses caves, va voir l'affreux bric-à-brac des crânes, des ossements sacrés, se repaît incessamment des curiosités du sépulcre.
Pour répondre à de tels besoins, le Parlement de Toulouse, large et grand dans ses justices, ne permit pas de regretter la vigueur de l'Inquisition. En une seule année, dit-on, quatre cents sorciers, hérétiques, juifs et autres, furent expédiés pêle-mêle, allèrent au bûcher.
Dans ces cités du midi, où l'hiver, presque toujours doux, continue la vie en plein air, à force de parler, plaider, supposer, imaginer, les rêves populaires prennent corps et toute la fixité que peut avoir le réel. De femmes en femmes (malades de tendresse et de fureur, tendresse pour la victime, fureur contre les protestants), la noire ville se trouva grosse d'une épouvantable grossesse, gonflée comme d'un vent de haine, de colère et de venin. Un monstre éclata de ce vent, monstre d'ineptie, de sottise, une légende qui pouvait faire bien plus qu'une exécution,—un massacre général:
«Il est sûr, il est certain que si les protestants s'obstinent, malgré tant de persécutions, à rester toujours protestants, il y a une cause à cela. La cause, c'est laterreur. Ils ont un tribunal secret qui met sur-le-champ à mort ceux qui se convertiraient.»
À quoi les prêtres ajoutaient: «C'est si vrai, que Calvin même leur ordonne expressément de tuer le fils indocile.» (Calvin ne fait en cela que citer, traduire la Bible, comme font les docteurs catholiques. Mais ni les uns ni les autres ne commandent la mort des enfants.)
Les femmes allaient bride abattue dans l'absurde. Ce tribunal, pour exécuter les enfants, a un sacrificateur patenté qui porte une épée. Or, dans l'affaire de Calas, il y avait le pilotin Lavaysse et sa petite épée. Voilà le sacrificateur . Car, pour étrangler un homme, il faut avoir une épée.
Quoi de plus clair? Qui résiste, est un impie certainement. Il n'a ni la foi ni le cœur. Oh! cœur dur, qui veut impunie la mort des enfants innocents!... «Des preuves! dis-tu, des preuves!» Misérable! s'il te faut des preuves, c'est que tu n'es pas chrétien.
Voltaire, qui court les surfaces et n'a guère de mots profonds, en a un ici, admirable: «Jugement d'autant plus chrétien qu'il n'y avait aucune preuve.» (Corr. avril 1762; LX, 22.)
C'est là toucher le fond des choses. Dans une religion de l'amour, prouver ou demander preuve, c'est pécher, n'aimer pas assez. L'amour est si fort qu'il croit le contraire de ce qu'il voit. Plus la chose est illogique, folle, absurde (c'est le mot même de Tertullien, d'Augustin), plus elle est matière à la foi, à la croyance d'amour.
Surprise par le mari, l'épouse dit: «Si vous aimiez,vous n'en croiriez pas vos yeux; vous en croiriez votre cœur. Non, vous n'avez pas la foi; vous n'eûtes jamais l'amour.»
Telle fut l'affaire des Calas, un vigoureux acte de la foi de la ville de Toulouse. Il y avait des choses évidentes qui rendaient invraisemblable le martyre de Marc-Antoine, mais plus c'était invraisemblable, plus il était beau de le croire, méritant, d'un cœur chrétien.
C'était le charmant éveil du printemps méridional, de la fermentation première. C'était l'ouverture de l'année émouvante et dramatique où devaient se suivre les fêtes, celle de mai en souvenir du massacre protestant, celle de juin, la Fête-Dieu, rouge des roses albigeoises. L'exécution de Rochette avait commencé, et, dans un crescendo superbe, cela allait continuer. Les bons capitouls, unis à ce sentiment populaire, accueillirent avec plaisir un torrent de femmes joyeuses qui savaient ou ne savaient pas, venaient parler, soulager leur trop-plein, leur cerveau malade. La dernière racaille eut crédit. Ils reçurent à témoigner une fille qui venait d'être
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