Histoire De France 1758-1789, Volume 19
ruine de Dunkerque, le peuple voit un monument éternel du joug imposé à la France .»
Deux choses auraient dû pourtant tempérer un peu cet orgueil. Premièrement, l'Angleterre eut des succès trop faciles sur une France désorganisée, qui ne combattait que d'un bras, employant l'autre, et le meilleur, à la vaine guerre d'Allemagne. Deuxièmement, la pose hautaine, l'orgueil imité de Pitt, couvrait dans la majorité immense de l'Angleterre un fond avide et avare, la convoitise d'argent.
Pitt avait eu beau leur dire: «C'est en Allemagne qu'il faut conquérir l'Amérique.» Cela n'était pas compris, ou cela semblait trop cher. On grondait. À l'avénement de George III, l'Écossais Bute, qui gouvernait, répondit à cette avarice. Il n'envoya plus un sou à celui qui, dans vingt batailles, avait tant servi l'Angleterre. Les Anglais grondèrent contre Bute plus qu'ils n'avaient fait contre Pitt, et ne lui pardonnèrent pas d'avoir fait ce qu'ils voulaient.
Choiseul eut la paix dans les mains. On vit alors àquel point il restait, au fond, autrichien. Toute la difficulté qu'il trouva à faire la paix, c'est qu'on voulait que la France rendît ses conquêtes d'Allemagne; mais, par le traité, ces conquêtes revenaient à l'impératrice. Son intérêt arrêta tout.
Lord Bute était si avide, si impatient de la paix, que, pour abréger, il entrait sans scrupule dans l'indigne plan des ennemis de Frédéric, qui, pour avoir le secours de la Russie, avait offert de lui faire cadeau de la Prusse, mettant ainsi les Tartares en Europe et presque au Rhin. L'Autriche l'avait offert, et la France n'y répugnait pas. Mais l'énorme, l'incroyable, c'est que l'Angleterre elle-même, si bien servie par les victoires de Frédéric, l'eût livré!
Vienne seule voulait encore la guerre. Choiseul, sur le dos de la France et sur le dos de l'Espagne, en 1762, avait reçu une grêle épouvantable de revers. La pauvre Espagne fut battue en Portugal, rançonnée aux Philippines, éreintée à la Havane. Sa riche, délicieuse Cuba, tomba aux mains des Anglais, et ses millions, et ses vaisseaux. Et nul secours de Choiseul. Nos corsaires nombreux, heureux, faisaient mille tours aux Anglais. Mais la flotte était encore en partie sur le papier. Nous ne pouvions qu'assister au naufrage de l'Espagne, compromise si étourdiment. Vienne a beau dire. On n'en peut plus. Un million d'hommes ont péri en Europe. Tous en ont assez.
Qu'est-ce que l'Autriche a gagné? Rien du tout. Frédéric reste le même.
Qu'est-ce que la France a perdu? Le monde, pas davantage.
Pour longtemps elle est désarmée, abattue, humiliée.
Que cette cour de Versailles, cette monarchie criminelle, cette France légère, étourdie, perde l'Inde, perde l'Amérique, c'est justice. Mais le résultat laisse un problème bien grave dans le destin du genre humain.
Du plus haut lac du Canada jusqu'à la Floride espagnole (qui est livrée à l'Anglais), un superbe empire va se faire, tout européen, admirable de jeunesse et de grandeur. Qui aura péri? L'Amérique .
Toutes les races américaines avec nous auraient subsisté. Comment. Les sauvages le disent: «Les Français épousaient nos filles.» Un monde mixte se fût formé, où se serait conservé le génie américain.
Les Anglais ne sauvent point, ne conservent point les races. Ils les remplacent seulement.—Et cela encore ne se voit que dans les rares climats moyens, où l'Anglais peut s'acclimater (Bertillon, Acclimatement ).
Dans l'Inde, qu'est-il advenu? Les Anglais en firent la conquête extérieure. Ils n'y vivent point. Ils n'ont pu y rien créer.
Dupleix, mieux compris, mieux aidé du cabinet de Versailles, aurait égalé, je le crois, la cruelle habileté, les ruses, les succès de lord Clive. Je n'y ai aucun regret. Ce qui me laisse du regret, c'est que la France, répandue, mêlée à l'élément indien, eût duré, fait une race. Le mariage de Dupleix avec une femme indienne, de capacité si grande, dit assez ce que ce mélange eût pu avoir de fécond.
L'Inde dure, fort heureusement. Elle n'est pas effacée, comme l'Amérique du Nord, en ses races primitives. Les Anglais n'y ont rien fait que laisser périr, crever, les admirables réservoirs qui recevaient les pluies des Gattes, fertilisaient le pays.
Malgré tout l'écrasement du pesant boa anglais, qui ne fait que digérer, les arts exquis de l'Indostan sont venus à l'Exposition de 1856, et ils ont éclipsé tout. (V. les Reports et ma
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