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Histoire De France 1758-1789, Volume 19

Histoire De France 1758-1789, Volume 19

Titel: Histoire De France 1758-1789, Volume 19 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jules Michelet
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bas, une puissance quasi-domestique existait qu'il n'osait toucher. C'était la dynastie sournoise de la Vrillière, immuables ministres des Lettres de cachet. Celui d'alors, Saint-Florentin, avait une maladie, la jalousie de ses prisons. Il aimait tant ses prisonniers, que lui en enlever un seul, c'était lui tirer du sang. Le clergé n'eût pu avoir un meilleur geôlier, plus tenace. La cour le trouvait commode, obligeant. Il enfermait les maris récalcitrants. Lui-même,cet ami du clergé, il s'était par ce procédé donné une femme mariée. Il pouvait se permettre tout. Il avait de fortes racines. Par lui, par cette femme méchante, il exploitait son ministère de terreur pour le plaisir, effrayait, livrait des dames. S'il est vrai, comme on le dit, que le Roi, nullement cruel, ait été pourtant jusqu'au crime ( Rich. , IX, 353-355), je ne vois guère dans cette cour qu'un homme qui ait pu l'y servir. Je ne vois qu'un seul visage sur qui on lise ces choses. C'est l'image convulsive qui vous arrête tout court dans le musée de Versailles. Face atroce, grimaçante, qu'on dirait épileptique. J'y lis ces funèbres plaisirs. J'y lis les galères protestantes et l'exécution de Calas.
    Quand on voit les demandes ignobles de pensions, etc., qu'adressaient ces magistrats à Saint-Florentin, quand on voit qu'il leur écrit ses regrets de ne pas avoir des soldats pour les dragonnades, on ne peut douter que ces juges n'aient cru par un si bel arrêt faire leur cour, n'aient pensé que rien ne pouvait le charmer plus qu'un roué.
    Voltaire avait bien de l'audace. Il écrit à ce misérable, fait semblant d'espérer en lui. Il envoie à Saint-Florentin je ne sais combien de personnes. Tout cela, bien entendu, inutile. Mais l'effet est fort. Le jour dans ce lieu maudit a lui; le soleil d'aplomb arrive au royaume sombre. Le noir coquin voit sur lui l'œil pétillant de Voltaire, et bientôt toute la France va le regarder en face.
    «Qu'y faire? dit-il timidement. C'est l'affaire de la justice. Cela ne me regarde pas.»
    Ce n'est pas Voltaire seulement qu'il faut admirer ici, c'est la société française. Les Anglais, si méprisants, doivent ôter leurs chapeaux, et les Allemands, et tous. Ce mouvement électrique n'aurait eu chez nul autre peuple des résultats si rapides. L'étincelle partie de Ferney fait à l'instant un incendie, et point du tout éphémère. Un foyer se crée durable de bonté intelligente, de pitié, d'humanité...
    Les salons furent à l'instant des tribunaux d'équité, où le bon sens, l'esprit fin, perçant, mit la chose à clair. Des femmes éloquentes, admirables, parlèrent comme jamais avocat, magistrat, n'aurait su dire. Lorsque Voltaire remit la chose à d'Alembert, il savait qu'il évoquait là un salon, et le plus ardent, un volcan de passion, mademoiselle Lespinasse, trois fois plus Rousseau que Rousseau. Sur ses lettres il a passé cent ans: le papier brûle encore.
    Que faisait M. de Choiseul? sa manœuvre est ingénieuse. Il ne se met pas encore dans l'attaque au Parlement. Il agit, mais par derrière, en dessous, par un coup de griffe qu'il donne à Saint-Florentin. Il y avait à Toulon un admirable forçat, un saint, le fameux jeune Fabre qui se glissa aux galères par surprise pour sauver son père (Coquerel, Forçats de la foi ). Je ne sais combien de gens priaient le ministre pour Fabre. En vain. Choiseul, en prenant le ministère de la marine, fait ce tour à Saint-Florentin de lui voler son galérien (mai 1762). Il en fut presque malade. Choiseul avait là sous la main une histoire très-pathétique. Il en joua parfaitement.
    Bon signe pour les Calas. Voltaire commençad'écrire, d'imprimer pour eux à Genève. On n'osait encore à Paris. Le Parlement de Paris laisserait-il circuler?
    Voltaire l'obtint par un homme dont le nom ne doit pas périr. L'abbé de Chauvelin, infirme, un petit homme bancroche, et qui ne vivait que de lait, n'en était pas moins l'orateur le plus vif du Parlement, véhément et intrépide. Il avait tâté déjà des cachots de Saint-Michel. Il allait toujours son chemin. Loyola mourut de sa main. Dans cette circonstance critique il ne crut pas que le Parlement de Paris dût, en se déshonorant, défendre l'ânerie de Toulouse.
    On ne sait pas bien au juste ce qui roulait sous les perruques du Parlement de Paris. Ses Jansénistes encroûtés, en laissant circuler Voltaire, voulaient se dédommager en emprisonnant Rousseau. La mauvaise humeur qu'ils

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