1940-De l'abîme a l'espérance
Ils avaient eu vingt ans en 1914.
En ce mois d’août de cette année-là, ils n’imaginaient pas qu’on les jetait dans une guerre où périraient dix millions d’hommes – 1 300 000 pour la seule France –, où d’autres par millions seraient blessés, défigurés, « gueules cassées », aveuglés, gazés, morts en sursis. Qu’ils seraient marqués à vie, dans leur âme, dans leur mémoire, dans leur corps par cette Première Guerre mondiale.
Et que l’Europe, l’étal de cette boucherie de quatre années, n’en sortirait pas apaisée, mais lourde de nouveaux affrontements, d’une Deuxième Guerre mondiale qui éclaterait en septembre 1939, à peine vingt-cinq années plus tard.
Les anciens combattants de 1914-1918 auraient à peine quarante-cinq ans.
Des millions d’entre eux seraient de nouveau mobilisés.
Ils avaient cru que la Première Guerre mondiale serait, comme ils l’espéraient, la « der des der », et voilà qu’on leur distribuait uniformes, casques, armes, et qu’ils marchaient au pas aux côtés de leurs fils !
Ils défilaient devant les monuments aux morts de leurs villes et de leurs villages, sur lesquels les noms de leurs camarades, tombés à Verdun, au Chemin des Dames, sur les bords de la Baltique ou sur les rives de la Vistule, s’entassaient comme des corps dans une fosse commune européenne.
Eux ne les avaient pas oubliés, ces camarades enfouis dans la boue des tranchées.
Mais les gouvernants n’en parlaient plus ou alors ils les invoquaient pour justifier la nouvelle guerre. Mais eux, les anciens combattants de la Première Guerre mondiale, ils marchaient sans enthousiasme, comme dans un cauchemar. Il fallait donc « remettre ça », la guerre, le massacre. Ils songeaient à ces camarades tombés dans des offensives inutiles puisque tout recommençait :
Déjà la pierre pense où votre nom s’inscrit
Déjà vous n’êtes plus qu’un mot d’or sur nos places
Déjà le souvenir de vos amours s’efface
Déjà vous n’êtes plus que pour avoir péri [1] .
Et pourtant, au mois de novembre 1918, quand le lundi 11 avait retenti le clairon de l’armistice, ils avaient hurlé, comme si enfin ils étaient libérés de cette angoisse qui depuis quatre ans les avait habités chaque jour.
Les rues et les places de Paris, de Londres, avaient été envahies par une foule en liesse.
On chantait, on dansait, on s’embrassait. La paix était là, et à Paris, à Londres, elle était victorieuse. On entourait les soldats des États-Unis venus par centaines de milliers livrer en France les derniers combats contre l’Allemagne qui avait enfin capitulé.
On oubliait l’amertume des combattants allemands, on ignorait celle d’un caporal décoré de la croix de fer de première classe, Adolf Hitler, et de millions de ses camarades humiliés et rageurs.
Ils avaient combattu sur le sol français. Jamais ils n’avaient vu leur patrie souillée par l’ennemi et voilà qu’ils étaient vaincus !
Ils pensaient trahison et déjà revanche.
Certains créaient, alors qu’on n’avait pas encore signé la paix (elle le serait à Versailles, en 1919), des Freikorps, des corps francs, qui allaient combattre pour empêcher qu’on arrachât à l’Empire allemand vaincu les terres colonisées jadis par les chevaliers Teutoniques.
La France victorieuse dessinait les frontières : les populations allemandes des Sudètes devenaient tchécoslovaques, citoyennes de ce nouveau pays, la Tchécoslovaquie, que la diplomatie française faisait surgir des ruines de l’Empire austro-hongrois.
À Vienne, on regrettait déjà la splendeur impériale, on acceptait mal de n’être que l’Autriche, et non plus l’empire des Habsbourg. Et certains regardaient vers Berlin.
Mais comment résister ? Les Français vainqueurs imposaient le Diktat de Versailles.
On ouvrait un « corridor » en terre allemande, pour que la Pologne pût accéder à la mer Baltique. Et tant pis si la ville allemande de Dantzig se trouvait devenir une enclave germanique, isolée en territoire polonais.
La joie régnait à Londres et à Paris, mais la violence surgissait à Berlin, à Vienne, dans toutes les villes de Russie, entraînées dans la guerre civile qui depuis la révolution de novembre 1917 embrasait ce qui n’était plus l’empire des tsars mais le pays des soviets, là où, par la terreur déjà, s’enracinait ce que Lénine et
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