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Histoire De France 1758-1789, Volume 19

Histoire De France 1758-1789, Volume 19

Titel: Histoire De France 1758-1789, Volume 19 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jules Michelet
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la Reine n'en voulaient. Donc il arriva.
    Nul plus charmant ministre. D'avance il avait parlé net. Il promit tout à tous, déclara qu'au rebours de Necker, il penserait aux fortunes privées , qu'il ferait plaisir à chacun. Son système, neuf, ingénieux, était de dépenser le plus possible. Ce ministère ouvrit comme une fête. Les femmes l'appelaient l'enchanteur . Si l'on demandait peu, il disait: «Pas assez!»
    Des cent millions qu'il emprunta d'abord, pas un quart n'arriva au Roi. Il paya les dettes des princes, les gorgea. Cinquante-six millions pour le seul comte d'Artois, et vingt-cinq pour Monsieur. Condé n'en eut que douze, mais avec six cent mille livres en viager. On ne dit pas ce qu'eurent les prôneurs, les menteurs,intrigants de tous genres, qui avaient fait ce grand ministre. (V. Augeard , 249.)
    Tout va aller à la dérive. Où est le Roi? Que devient-il, il était travailleur, sérieux, sous Turgot. À voir aujourd'hui sa torpeur, on le croirait hydrocéphale. La table, la vie conjugale, l'invincible progrès de l'obésité paternelle, semblent paralyser sa grosse tête d'embryon. On lui fait en un an signer en acquits au comptant cent trente-six millions! Pour qui? Je ne le sais. Il ne le sait lui-même.
    Le seul point où le Roi se souvient qu'il est roi, c'est l'exclusion de Figaro, son refus obstiné de lui ouvrir la scène.
    Cette énorme apostume d'âcretés, de satires, traits haineux, mots mordants, avait mis six ans à mûrir. Elle avait (Beaumarchais le dit) pris son germe au salon du Temple, qui, des Vendômes à Conti, fut toujours le foyer des nouveautés risquées. Conti, ce bizarre prince en qui tout fut contraste (Conti-de-Sades, Conti-police, Conti-Rousseau, l'ennemi de Turgot, révolutionnaire au pire sens), pressentit au Barbier ce que deviendrait Figaro. Il le voulut marié, en défia l'auteur, lui mit le feu au ventre.
    Six ans durant, à travers les affaires, Beaumarchais prit au vol cent mots étincelants, qui jaillissaient vers la fin des soupers. La pièce est chargée, surchargée d'esprit; elle en est fatigante.
    Elle devint fort âcre, quand Beaumarchais, pour l'affaire d'Amérique, ne put se faire payer, ne put trouver justice ni ici, ni là-bas. Il s'aigrit, menaça, prédit un cataclysme, et sembla le vouloir, comme sile torrent ne devait pas d'abord le rouler des premiers et l'emporter lui-même.
    Figaro est très-sombre. Pendant toute la pièce, les lazzis, le faux rire, j'entends derrière un bruit comme un vague roulement d'orage. Il est partout dans l'air. «Je l'entends, dit madame Roland, au clos de la Platrière.» ( Lettres. ) Et Fabre d'Églantine, au petit chant plaintif, dont tous les cœurs ont palpité.
    J'aime peu Figaro . Je n'y sens nullement l'esprit de la Révolution. Stérile, tout à fait négative, la pièce est à cent lieues du grand cœur révolutionnaire. Ce n'est point du tout là l'homme du peuple. C'est le laquais hardi, le bâtard insolent de quelque grand seigneur (et point du tout de Bartholo.)
    La pièce manque son but. Que le grand seigneur soit un sot, d'accord. Mais qui voudrait que le puissant fût Figaro? Il est pire que ceux qu'il attaque. On lui sent tous les vices des grands et des petits. Si ce drôle arrivait, que serait-ce du monde? Qu'espérer de celui qui rit de la nature, se moque de la maternité, qui salit l'autel même, sa mère !
    Le Roi qui se fit lire la pièce, jura qu'on ne la jouerait pas. Cependant (le 12 juin 1783) le pétulant d'Artois, se moquant des défenses, allait la faire jouer chez le Roi même, à ses Menus-Plaisirs. Un ordre l'empêcha. Cela n'arrêta pas l'audace des amis de la Reine. Vaudreuil, le 26 septembre, la fit jouer chez lui devant la Polignac et sa cour de trois cents personnes ( Madame V. Lebrun , I, 147).
    Surprenante insolence. Mais ils étaient maîtres du tout. Un mois après cet acte d'effrontée désobéissance,le Roi justement nomme leur ami de plaisir, le ministre qu'ils poussent, l'agréable coquin qui va faire leur fortune de la fortune de l'État. Figaro avait dit: «Rions! car qui sait si le monde vivra dans six semaines?»—Il n'en fallut que trois pour faire la fin du monde, pour remettre la France au prodigue effréné, Calonne, qui emporta la monarchie.
    Ayant cédé la grande chose, le Roi s'obstine à la petite. De nouveau il empêche Figaro (fin de février), mais il est débordé. La Reine lui fait croire que la pièce est changée, qu'elle est si mauvaise

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