Histoire De France 1758-1789, Volume 19
douter. Elle restait capable de sentiments honnêtes. On a vu sa patience à recevoir les rudes corrections de son frère (1777). Elle se réforma, accepta les devoirs, les conditions du mariage, s'accoutuma à son mari. Il avait vingt-quatre ans, et un grand éclat de jeunesse. Il était devenu très-fort, par delà le commun des hommes. Elle fut enceinte coup sur coup. À peine accouchée (de Madame), elle se trouva grosse, crut avoirun dauphin. Elle eut le malheur d'avorter. Et, par-dessus, elle eut un grave avis du temps: elle perdit presque ses cheveux. Il lui fallut baisser, paraître en coiffure plate, découronnée pour ainsi dire. Frappée, elle pensa aux prophéties sinistres de sa mère. Elle pleura, se laissa aller, versa son cœur, sans doute. Le roi pleurait aussi, plus tendre encore pour elle, dès ce jour l'aimant trop et faiblissant de plus en plus.
N'eût-elle pu alors quitter la Polignac, la combler et la renvoyer? Elle y songeait peut-être (1779). Elle lui donna presque un million pour sa fille. Elle eût voulu, dit-on, lui faire un duché en Alsace. Mais comment satisfaire toute la bande, les amis de la dame? Vaudreuil, à ce moment, voulait faire un ministre, faire sauter celui de la guerre, Montbarrey, qui lui refusait de l'argent. La reine était embarrassée, craignant la censure de Coigny, intime ami de Montbarrey. Il lui semblait dur d'obéir. Poussée par l'insistance obstinée de la Polignac, elle éclata et s'emporta. Mais quel coup pour la reine! Très-froidement la dame dit qu'elle va partir, lui rendre ses bienfaits. Adoucie tout à coup, la reine voudrait la ramener. Elle est plus froide encore, impitoyable. La reine n'en peut plus, ne peut se contenir, étouffe de sanglots et de larmes. Elle demande pardon, prie, s'humilie, se jette à genoux ( Besenval , II, 197).
Domptée ainsi, elle tomba plus bas dans sa honteuse obéissance, agit pour son tyran avec ardeur, exigea à tout prix qu'on fît ministre Ségur, l'homme des Polignac. Qu'était Ségur? Elle ne le savait même pas. Un jour,elle revient triomphante, et dit à son amie: «Soyez heureuse enfin! Puységur est nommé!» ( Ibid. 110.) Que dire d'une si grande ignorance? Que dire de Louis XVI, si aveugle et si dominé, qui pour elle aujourd'hui prend Puységur , Ségur demain? Tyrannie pitoyable! Ségur passe, et elle est enceinte (22 janvier 1781).
Ce fut un Dauphin cette fois (22 octobre). Le Roi fut dans le ciel. Mais ce bonheur tant désiré devint un malheur pour la Reine. On cria que l'enfant ne venait pas du Roi. Orléans, que les Polignac avaient blessé indignement (disant qu'il se cacha au combat d'Ouessant), Orléans, en revanche, lança un trait mortel: «Qu'il n'obéirait pas à un fils de Coigny .» Imputation injuste, selon toute apparence. La Reine, à ce moment où l'enfant fut conçu, chassait un ami de Coigny.
La Reine retombée ainsi, assotie de ses Polignac, oubliait tout et jusqu'à sa famille, ne répondant plus même à sa sœur, la reine de Naples ( Augeard , 251). Elle s'oubliait elle-même, elle allait se mêler à la cour de la Polignac, qui ne daignait en écarter ceux qui déplaisaient à la Reine. Le plus dur pour celle-ci, c'était l'insolence de Vaudreuil; elle le détestait, le souffrait. Mais il ne suffisait pas de l'endurer: il fallait l'admirer, en ses goûts, ses petits talents. Poitrinaire, disait-il, il avait droit de ne rien faire, il était l'amateur, le juge en tout. Sa passion était surtout pour Fragonard, Parny de la peinture. Vaudreuil, étant créole, protégeait le créole Parny, bien reçu chez la Reine, exalté, consulté.
Un seul prince, d'Artois, «un polisson,» dit la Reine elle-même, était de cette société. Vivant avec les filles et les danseuses, il en apportait le langage. On ne se gênait nullement devant la Reine. Impudemment Vaudreuil se moquait devant elle de Vermond, son vieux précepteur. Brutalement, dans un accès, il cassait au billard un objet d'art, délicat, précieux, auquel elle tenait. Elle ne disait rien. Il aurait cassé davantage.
De ce planteur le nègre était la Polignac, de qui le nègre était la Reine, de qui le nègre était le Roi.
La royauté avait passé dans cette société. On le vit en 83. Malgré le Roi, ils lancent, font jouer Figaro . Malgré la Reine même, qui préférait un autre, ils mettent au pouvoir Figaro, je veux dire Calonne.
L'affaire La Chalotais avait mis Calonne en son jour, démontré le coquin. Ni le Roi, ni
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