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Histoire De France 1758-1789, Volume 19

Histoire De France 1758-1789, Volume 19

Titel: Histoire De France 1758-1789, Volume 19 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jules Michelet
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d'Amérique entrer dans celle d'Allemagne. La Reine seule n'avait peur de rien. Elle suivait Joseph à l'aveugle en son rêve, voulait nous y lancer. Bien loin qu'elle soit restée froide (comme l'a dit M. de Bacourt), ses lettres montrent à quel point elle fut violente pour son frère, obstinée dix-huit mois, et chicanant pour lui. Elle parla fort et ferme aux ministres, fit venir chez elle Vergennes,voulut l'intimider, crut l'entraver, retenant ses dépêches. Mais son moyen le plus direct fut celui qui avait réussi en 1778. Elle obsède, enlace le Roi, et la voilà encore enceinte (juin 1784).
    On dit qu'elle fit plus. Joseph empruntant pour la guerre, on prétend que la Reine entreprit d'y aider, soit par les juifs d'Alsace, soit par ses banquiers même (par Laborde et S. James), qui se fièrent à elle pour garantir l'emprunt, et qui finalement en furent payés par nous. Ainsi tout à la fois la France par Vergennes s'efforçait d'empêcher la guerre, la France par la Reine y poussait, en faisait les fonds!
    Pour tout cela, la Reine ne pouvait compter sur Calonne. Elle était brouillée avec lui. Elle l'avait créé, mais malgré elle, et forcée par la Polignac. Elle aurait mieux aimé un ami de Choiseul, Loménie, ou tout autre qu'aurait voulu l'Autriche. Calonne le savait à merveille, savait ne tenir qu'à un fil. Il ne fut pas un an sans lutter avec elle, travailla sourdement à la miner, la perdre.
    « Nul ministre solide que par la faveur de l'Autriche ;» c'est ce qui ressortait de la légende de Choiseul, qui par là se maintint au pouvoir si longtemps. Nul n'avait cette foi plus que Rohan qui, changé, transformé, devenu Autrichien, à Strasbourg, à Versailles, agissait fort pour l'Empereur. Son palais de Strasbourg, son château de Saverne étaient le grand passage d'innombrables courriers entre Versailles et Vienne. Prince d'empire et riche en Allemagne, influent en Alsace, Rohan agissait pour l'emprunt qu'eût fait le juif Cerfbeer ou autre. En même temps il offrait à Versaillesun projet de finance, pour faire sauter Calonne qu'il aurait remplacé, avec l'appui de Joseph II. Serait-il pour cela accepté de la Reine? Rentrerait-il en grâce près d'elle? C'était la question.
    Rohan, pour refaire un Choiseul, était bien mieux posé que lui, ne partait pas de rien. Il avait à Strasbourg quatre cent mille francs de rente, trois cent mille à Saint-Vast, en tout presque un million par an. Il était endetté, il est vrai, devait deux millions. Somme légère en comparaison de la colossale banqueroute de son parent Guéménée (30 millions). Tout dans la famille était grand. Fort unis, ces Rohan-Soubise poussaient d'ensemble au ministère. Le cardinal y visait dès longtemps, stimulé par sa cour, ses secrétaires ardents qui ne le laissaient pas dormir. Le dirigeant était le fin, le faux abbé Georgel. D'autres étaient plus jeunes, entre autres un jeune homme éloquent, de noble cœur, crédule, Ramond, le célèbre Ramond (des Pyrénées, du Mont perdu). Mais le conseiller très-intime, l'oracle, était Cagliostro, le magicien et le prophète, homme, il est vrai, très-fin aux choses de ce monde, propre à associer des naïfs (Ramond, d'Épréménil), à créer ces nombreuses loges, dont le centre eût été Strasbourg.
    Grande fortune. Rohan n'était pas au niveau. Il n'était nullement un sot, comme on a dit. Mais pitoyablement faible, et scandaleusement libertin. Usé à cinquante ans de corps, de cœur, sous sa belle apparence, il était lâche, et, au moindre péril, prêt à tomber très-bas. Il n'en avait pas moins les rêves royaux de sa famille, de ces fameux rois de Bretagne qui s'estimaientautant au moins que les Capets, trouvaient bien jeunes les Bourbons. Rien n'avait plus flatté Rohan que d'acquérir, d'entretenir la plus noble maîtresse qu'on pût avoir en France, la dernière du sang des Valois.
    Cette femme, à coup sûr infortunée, quelles qu'aient été ses fautes, est restée écrasée quatre-vingts ans sous l'infamie. Récemment cependant un peu de jour s'est fait. M. Beugnot la relève sous certains rapports. Il nous porte à conclure que les Mémoires qu'elle écrivit pour se laver ne sont pas méprisables autant qu'on avait cru,—bref, que ce grand procès n'a été que jugé,—éclairci? examiné? non.
    Ce n'était pas du tout un monstre. On ne résistait guère à son charmant aspect, à sa parole agréable, enjouée. Tout d'abord son visage disait: «Je suis

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