Histoire de France
Poincaré pour tâcher de maintenir l’organisation militaire qui venait d’être reconstituée. La démocratie française, indifférente aux événements lointains, vivait dans une telle quiétude que c’est à peine si elle remarqua l’ultimatum de l’Autriche à la Serbie. Pas plus que du tragique « fait divers » de Serajevo, la foule n’en tira de conséquences. Au fond, elle croyait la guerre impossible, comme un phénomène d’un autre âge, aboli par le progrès. Elle se figurait volontiers que, si Guillaume II et les officiers prussiens en avaient le désir, le peuple allemand ne les suivrait pas. Dix jours plus tard, la guerre la plus terrible des temps modernes éclatait.
Chapitre 22 La guerre et la paix, les travaux et les jours
Si, dans les années qui ont précédé 1914, quelque chose semblait garantir la paix, c’était que les vaincus de 1871 ne songeaient pas à prendre leur revanche. Et l’Allemagne était si forte que personne ne pensait à l’attaquer. D’ordinaire, le vainqueur n’a pas intérêt à remettre sa victoire en question. Mais l’Allemagne voulait la guerre. Elle avait un trop-plein d’hommes. Elle était, comme aux anciens temps de l’histoire, poussée à envahir ses voisins. Cependant, pour qu’elle n’eût pas à combattre seule toute l’Europe, pour qu’elle gardât au moins l’Autriche comme alliée, il fallait que la guerre se présentât sur un prétexte qui ne fût pas allemand, mais autrichien. Telle fut justement l’occasion que lui fournit le conflit de l’Autriche avec la Serbie. Ainsi c’était des lointaines régions de l’Europe, comme au dix-septième siècle, après la Montagne Blanche, comme au dix-neuvième siècle, après Sadowa, que la guerre avec l’Allemagne venait chercher les Français.
On se doutait si peu de ce qui allait se passer que le président Poincaré et le président du conseil Viviani rendaient une visite de politesse au tsar lorsque l’ultimatum autrichien fut rédigé, d’accord avec l’Allemagne, dans des termes tels qu’on pouvait croire que la Serbie ne les accepterait pas. Cet ultimatum fut remis à Belgrade le 23 juillet, au moment où Poincaré et Viviani quittaient Saint-Pétersbourg. À Paris, l’ambassadeur allemand avertit tout de suite la France que les conséquences d’une intervention quelconque dans cette affaire seraient « incalculables ». La France et les puissances amies n’intervinrent que pour recommander à la Serbie de céder, et la réponse serbe fut une acceptation sur tous les points, sauf un seul, qui pouvait d’ailleurs se régler par un arbitrage. Mais l’Autriche était résolue à écraser la Serbie et à en finir avec le péril slave qui menaçait de la dissocier. L’Allemagne était résolue à la guerre. Toutes deux repoussèrent la conférence européenne que l’Angleterre proposait. Le tribunal de La Haye fut pareillement récusé : les institutions internationales par lesquelles on avait voulu, depuis une vingtaine d’années, conjurer le péril qui approchait ne comptèrent pas une minute. Deux jours après la remise de l’ultimatum, l’Autriche déclarait la guerre à la Serbie. Dans l’espace d’une semaine, le mécanisme des alliances joua et une partie de l’Europe se jeta contre l’autre. Tout ce qui était contenu à grand-peine depuis 1871 fit explosion. Tout servit à agrandir le massacre au lieu de l’arrêter : forces accumulées par le système de la paix armée, richesses et ressources créées par de longues années de travail et de civilisation. L’équilibre des systèmes diplomatiques, la dépendance des intérêts, l’immensité même de la catastrophe que devait causer un pareil choc, ce qu’on avait cru propre à prévenir le grand conflit fut inutile. Les obstacles devinrent un aliment. La démocratie, le socialisme international n’empêchèrent rien. La guerre démocratique, de peuple à peuple, fut seulement « plus terrible », comme Mirabeau jadis l’avait prédit, et personne ne fut capable d’y mettre un terme par les moyens qui limitaient les guerres d’autrefois.
Dès le 15 juillet, la volonté de l’Allemagne avait rendu un retour en arrière impossible pour tout le monde. La mobilisation des uns entraînait celle des autres. L’Autriche ayant mobilisé toutes ses forces, la Russie mobilisait les siennes à son tour. Dans cette légitime mesure de précaution, l’Allemagne trouva le motif qu’elle cherchait. Le
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