Histoire de France
républicain lorrain, qui n’acceptait pas la formule de Thiers – la « politique de l’oubli » – d’où était sorti le parti du rapprochement avec l’Allemagne, devint président du conseil en janvier 1912. Dans les lettres, dans la presse, dans le monde intellectuel, presque toujours en marge de la vie politique, il y avait d’ailleurs un mouvement continu, auquel le nom de Maurice Barrès restera attaché, contre le délaissement de l’idée nationale. La doctrine nationaliste, affirmée pendant l’affaire Dreyfus et vaincue, servit alors à une sorte de redressement, comme, après le boulangisme, elle avait conduit à l’alliance russe. Pareillement, au milieu des triomphes électoraux de la République, qui n’était plus contestée dans les assemblées politiques, la critique de la démocratie par Charles Maurras et son école apportait une antithèse à laquelle les esprits les plus larges, parmi les républicains, reconnaissaient l’utilité, jadis proclamée par Gambetta, d’une opposition de doctrine, absente depuis longtemps. Un député d’extrême gauche, Marcel Sembat, écrivait, à la suite de ces discussions, un pamphlet curieux, dont on n’eût pas imaginé le titre quinze ans plus tôt : Faites un roi, sinon faites la paix. En même temps, le principe essentiel de la démocratie, le suffrage universel, s’altérait étrangement et une campagne persévérante pour la représentation proportionnelle, c’est-à-dire pour le droit des minorités, gagnait des adhérents et allait changer la physionomie de la vie politique, fondée jusque-là sur le système le plus durement majoritaire.
Les deux années qui précédèrent la guerre furent remplies de présages où les observateurs seuls trouvaient des avertissements et qui échappaient à la foule. En 1912, dans une première mêlée balkanique, les Turcs étaient vaincus par la coalition des Bulgares, des Grecs et des Serbes. L’an d’après, les coalisés se battaient pour les dépouilles, et les Bulgares étaient punis de leur agression : Bulgarie, Turquie auraient une revanche à prendre et seraient des alliées pour l’Allemagne. Ces événements étaient suivis avec intérêt par la Russie, ils alarmaient les deux puissances germaniques en menaçant l’Autriche et leur donnaient le désir de mater les Slaves : l’occasion que cherchait l’Allemagne commençait à s’offrir et une atmosphère trouble se répandait en Europe. En janvier 1913, Raymond Poincaré avait été élu président de la République en remplacement d’Armand Fallières et, sous son influence, on redevenait vigilant. Appelé par lui au ministère, un ancien modéré, Louis Barthou, fit accepter par les Chambres le retour au service de trois ans, nécessaire pour renforcer notre armée de première ligne. Publics ou occultes, les symptômes et les renseignements affluaient. Ils montraient l’Allemagne en marche vers la guerre : le gouvernement impérial venait de lever un impôt extraordinaire d’un milliard pour accroître ses effectifs et son matériel. Cependant, en France, la loi de trois ans, impopulaire, ramenait au pouvoir les radicaux-socialistes qui s’efforcèrent de reconstituer le bloc des gauches contre les modérés. À la veille de la guerre, dans l’énervement que répandait une menace qu’on sentait sans la définir, le conflit entre les deux tendances du parti républicain devenait plus âpre. Joseph Caillaux, de nouveau ministre, attaquait et il était attaqué ; Aristide Briand dénonçait le « ploutocrate démagogue ». Pendant cette campagne, Mme Caillaux tua d’un coup de revolver Gaston Calmette, directeur du Figaro, et ce meurtre rappela celui de Victor Noir quelques mois avant 1870. C’était le crime qui précède et annonce les grands crimes. Celui de Serajevo, qui servirait de prétexte à la guerre, suivit bientôt. Des signes de sang étaient partout.
Lorsque, le 28 juin 1914, l’archiduc héritier d’Autriche-Hongrie fut assassiné avec sa femme dans la petite ville de Serajevo par des conspirateurs slaves, la masse du peuple français était bien éloignée de croire à la guerre. Aux élections du mois d’avril, le nouveau bloc des gauches l’avait emporté. Un ministère Ribot, partisan de la loi de trois ans, avait été renversé le jour même où il s’était présenté devant la Chambre, et c’est à un socialiste récemment assagi, René Viviani, que dut s’adresser le président
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