Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique
réaliser l’idée d’une science des lois de la nature et de la liberté.
Mais le principe d’unité interne se présente lui-même de deux manières : d’une part comme principe d’une classification des doctrines qui se flatte de faire rentrer dans un petit nombre de types, dépendant de la nature de l’esprit, toutes les sectes possibles ; d’autre part, comme un développement graduel dont chaque doctrine importante constitue un moment nécessaire.
Le premier point de vue est celui de de Gérando [23]. Il déclare positivement qu’il abandonne, comme à la fois stérile et impossible, l’ancienne méthode de l’histoire des sectes. « Les opinions philosophiques qui se sont produites dans les divers pays et dans les divers âges sont tellement variées, tellement nombreuses que le plus savant et le plus fidèle recueil ne fera que jeter le trouble et la confusion dans nos idées et nous accabler sous le poids d’une érudition stérile, à moins que des rapprochements heureusement préparés ne viennent guider l’attention [24]. » A l’« histoire narrative » il faut substituer, selon les expressions de Bacon, l’« histoire inductive et comparée » ; elle consiste d’abord à déterminer le très petit nombre de questions primitives auxquelles doit répondre chaque système ; d’après ces réponses, on peut saisir l’esprit de chacun d’eux et les grouper en classes naturelles ; cette classification faite, on pourra les comparer, saisir leur point de divergence, et, enfin, considérant chacun d’eux comme autant d’expériences faites sur la marche de l’esprit humain, juger quel est le meilleur. De fait la question primitive qui p.22 donne à de Gérando la base de sa classification, c’est celle de la nature de la connaissance humaine ; l’histoire des systèmes devient un « essai de philosophie expérimentale », qui montre à l’épreuve la valeur de chaque solution donnée au problème de l’origine de la connaissance.
La méthode de Victor Cousin n’ajoute pas beaucoup à celle de Gérando. C’est une sorte de moyenne entre la méthode du botaniste qui classe les plantes par famille, et l’explication psychologique qui les rattache aux faits primitifs de l’esprit humain. « Ce qui trouble et décourage, dit-il au début du cours de 1829, à l’entrée de l’histoire de la philosophie, c’est la prodigieuse quantité de systèmes appartenant à tous les pays et à tous les temps. » Puis « des caractères, différents ou semblables se dégageront comme d’eux-mêmes et réduiront cette multitude infinie de systèmes à un assez petit nombre de systèmes principaux qui comprennent tous les autres. » Après la classification vient l’explication. Ces grandes familles de systèmes viennent de l’esprit humain. Voilà pourquoi l’esprit humain, aussi constant à lui-même que la nature, les reproduit sans cesse. L’histoire de la philosophie revient donc finalement à la psychologie qui, point de départ de toute saine philosophie, « fournit même à l’histoire sa plus sûre lumière » [25]. On domine donc l’histoire en la niant, puisqu’on remplace le développement des doctrines dans la durée par leur classement.
Le second point de vue qui permet d’introduire une unité dans l’histoire de la philosophie est celui d’une liaison dynamique entre les systèmes, où chacun apparaît comme un moment nécessaire d’une histoire unique. L’histoire de la philosophie ne fait ici que refléter les tendances générales du début du XIX e siècle, qui ont donné naissance aux sciences morales et sociales ; on ne croit plus que l’histoire générale s’oriente vers le succès d’une religion particulière ou d’un empire ; elle progresse plutôt p.23 vers une civilisation collective qui intéresse l’humanité entière. De même l’histoire de la philosophie ne s’oriente pas au bénéfice d’une secte ; elle a une loi immanente que l’on peut reconnaître par une observation directe.
« Aucune science ne saurait être comprise sans sa propre histoire, toujours inséparable de l’histoire générale de l’humanité » [26], il n’est nulle remarque qui condense plus nettement les idées d’Auguste Comte sur l’histoire intellectuelle : impossibilité de séparer le présent du passé, de considérer le stade présent de l’intelligence autrement que dans le progrès dynamique où il est né des stades
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