Histoire des colonisations: Des conquetes aux independances, XIIIe-XXe siecle
impressionner, à les convertir… »
Au reste, cette suffisance se confondait avec l’agressivité des Européens, « ces impérialistes » : les missionnaires s’identifiaient aux vainqueurs, enseignant l’Europe, sa gloire, sa grandeur, sa primauté — tout en se chamaillant eux-mêmes, entre nationaux, entre confessions, entre sectes. « Quelle dérision, pour un Asiatique qui ne croit pas à l’unité de la Vérité. »
Les thèses de Panikkar expriment à la fois l’occidentalisation de l’approche historique du passé de l’Inde, mais aussi l’attention portée à la discipline historique, qui avait peu de place dans la tradition classique. Au départ, en effet, ce sont plutôt des politiciens, des journalistes — pas des historiens —, qui ont eu à analyser le passé de l’Inde. Le choc qui les a humiliés et a donné le départ d’une construction nationaliste de l’Histoire a été l’ History of British India , publiée par James Mill en 1817, qui entendait définir la place de l’Inde « sur l’échelle des civilisations ». Elle s’y trouva tout en bas, car, « par la combinaison du despotisme et de la prêtrise, les hindous sont physiquementet moralement la partie la plus asservie de la race humaine ». En réaction, se développe une école historique dont l’initiateur fut Surendranath Banerjea (1848-1925), pour qui le passé doit être connu si le pays veut se régénérer. Il s’agit de réagir contre ces occidentalistes, tel Bankimkandra Chatterjee qui attribue l’assujettissement de l’Inde au caractère « faible » et « efféminé » de ses habitants dépourvus de fierté nationale, un manque dû à l’absence de connaissance historique. Il faut s’opposer aussi à ceux qui, tel Gokhale, prennent pour référence la tradition politique britannique.
Le premier thème à promouvoir est l’ancienneté de la civilisation indienne, de son histoire, qui existait avant les invasions musulmanes. A côté d’elles, les cent cinquante années de domination britannique apparaissent comme une péripétie relativement « insignifiante ». L’originalité du Ramayana et du Bhagavad Gita est une marque absolue d’ancienneté, très antérieure à la civilisation européenne. Au reste, cette ancienneté s’accompagne d’une permanence culturelle et d’une continuité, certes brisées par la conquête islamique, mais qui se sont perpétuées malgré les vicissitudes de l’histoire. Bipin Chandra Pal repère les traces de cette tradition : une manière de se gouverner sans despotisme et sans soumission à l’ordre militaire ; des souverains dont la volonté n’a pas force de loi, une séparation spontanée du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif incarnés respectivement par le roi et les conseils de brahmines, « le caractère théocratique du système politique hindou le préservant des conflits entre le Roi et le Peuple » : « bref, une conception contractuelle de la monarchie »…
L’appauvrissement de l’Inde sous la domination des Anglais constitue naturellement l’argument central qui explique leur déchéance ; mais moins essentiel, tout compte fait, que ce premier traumatisme de la conquête musulmane auquel le soulèvement marathe a essayé de mettre une limite, témoignant de la re-naissance du pays, de ce qui a amorcé le processus de formation de la nationalité indienne. L’existence d’une nation indienne est posée comme allant de soi, en réaction contre la traditionbritannique qui souligne l’hétérogénéité du pays et attribue aux Anglais le mérite d’avoir réalisé l’unification de ce territoire aussi vaste que divers.
Domination musulmane, domination anglaise
Vaincus et dominés successivement par les musulmans — Arabes, Persans ou Afghans — et par les Anglais, les hindous ont établi, au début du XX e siècle, un parallèle entre ces deux « occupations ». Il n’est pas à l’avantage de ces derniers : « Même aux jours les plus sombres de la domination musulmane, écrit B.C. Pal, les gens continuaient à gérer leurs propres affaires… et jouissaient d’une mesure de liberté plus grande que celle qui était allouée sous le régime de gouvernement local représentatif tant vanté, introduit par les Anglais. » En outre, la domination islamique se caractérisait par « l’absence de discrimination sociale et politique contre les hindous, le droit laissé à la population de
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