Histoire des colonisations: Des conquetes aux independances, XIIIe-XXe siecle
l’intention d’organiser une société parallèle à celle des colons, libre de toute interférence du pouvoir central ou de celui des administrateurs civils locaux. Ces redduciones ne devaient pas servir de réservoirs de main-d’œuvre pour les colons et elles avaient pour objet d’élever les Indiens, de développer leur personnalité individuelle et collective.
Ainsi, les Guaranis de la redducion jésuite du Paraguay, créée en 1607, disposaient de leur propre milice, et ils constituaient une sorte d’État dans l’État. Elle comportait une quarantaine de centres comptant entre 96 000 et 130 000 Guaranis, au XVIII e siècle. Le principe selon lequel « on devait en faire des hommes avant d’en faire des chrétiens » ne devait pas leur attirer la sympathie des autorités, et Charles III suivit l’exemple du roi du Portugal, en 1767, en décidant leur expulsion des Amériques. Leur indépendance mais aussi leur obéissance au pape étaient insupportables.
1776, les colons américains : indépendance ou révolution ?
A la différence des mouvements de libération de la seconde moitié du XX e siècle, la première décolonisation s’est effectuée à l’initiative des Européens eux-mêmes, autrement dit des colons qui vivaient outre-mer : l’indépendance des États-Unis, en 1783, celles des anciennes colonies espagnoles puis du Brésil doivent peu aux populations indigènes soumises par ces colons ; il n’y a qu’à Haïti qu’une population mise en esclavage, de Noirs d’Afrique, s’est libérée seule, à la fois contre la métropole et contre les colons.
Telle est bien la différence essentielle entre la première décolonisation et les mouvements ultérieurs, en Asie et en Afrique notamment, où ce sont les peuples vaincus qui se sont révoltés afin d’être indépendants et de mettre fin au règne des colons.
Un autre trait mérite d’être analysé. Selon les périodes de l’histoire et la position des observateurs, les événements d’Amérique entre 1774 et 1783 sont dénommés tantôt l’indépendance des États-Unis, tantôt la Révolution américaine. Cette équivoque porte loin, car elle pose le problème des agents de l’histoire, de leurs intentions, de la manière dont ils envisagent leur action. On retrouve la même ambiguïté dans la formulation des événements d’Algérie, après 1954, où les textes du FLN parlent aussi bien de Révolution algérienne que de lutte pour l’indépendance — et même une fois que celle-ci est acquise. C’est dire qu’après le cas du mouvement pizarriste, celui de l’Amérique constitue bien une figure modèle des problèmes politiques et nationaux des deux siècles à venir.
Paradoxalement, ce fut la victoire des Anglais pendant la guerre de Sept Ans, achevée en 1763, qui mit en place les mécanismes conduisant à l’Indépendance américaine. Jusque-là, en effet, et avant que le traité de Paris n’élimine la puissance française de l’Amérique du Nord, les colons anglais demeuraient blottis autour de Sa Majesté britannique pour pouvoir disposer de sa flotte, de ses armées. « S’il n’y avait cette menace, les Américains briseraient le lien qui les unit à la Grande-Bretagne », écrivait un contemporain dès 1749.
Les colons anglais, en effet, dont l’identité américaine ne cessait de s’affirmer, disaient leurs griefs avec d’autant plus de force que montait leur puissance économique et que se développait leur capacité à se servir du Droit pour leur défense.
Depuis les Actes de Navigation, les colonies d’Amérique demeuraient dans la dépendance du Board of Trade, de l’Amirauté, du Conseil privé. Leur accès était interdit aux vaisseaux étrangers, importations et exportations étaient régies par l’intérêt de la métropole. Les colonies du Sud — Virginie, Caroline — étaient les mieux traitées parce que, en échange des produits manufacturés anglais, elles fournissaient des produits tropicaux : ainsi, elles avaient l’autorisation d’exporter directement du riz en Espagne et avaient même obtenu que la culture du tabac fût interdite en Grande-Bretagne. Mais les colonies du Centre etsurtout du Nord étaient sous surveillance, parce que leurs produits (bois, poisson salé) intéressaient moins la métropole et que le développement de leur flotte de 1 500 vaisseaux l’inquiétait : il leur fut interdit de commercer directement avec les autres colonies,
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