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Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte

Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte

Titel: Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Erckmann-Chatrian
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de voir ma mère ne me plaisait pas trop, je savais d’avance
comment elle me recevrait ! Toute la ville parlait déjà de mon
mariage avec Marguerite ; ma mère avait commencé de terribles
disputes avec mon père sur ce chapitre ; elle
criait :
    – Je ne veux pas d’une
hérétique !
    Et mon père, indigné, lui répondait :
    – Et moi j’en veux ! La loi ne
demande que mon consentement, et je le donne avec ma bénédiction.
Crie, fais des esclandres, le maître, c’est moi !
    Ces choses, je ne les ai sues que par la
suite ; mon bon père nous les cachait.
    Mais à cette heure je vais vous raconter notre
mariage, ce qui vous fera plus de plaisir, j’en suis sûr, que le
siège de Mayence ou la débâcle de Coron, car on aime mieux voir les
gens heureux que misérables.
    Vous saurez donc que, vers la fin du mois de
mai, comme j’étais sur pied, bien remis et rhabillé par Marguerite,
parce que je n’avais pas le sou, je ne vous le cache pas, j’en suis
même fier ; elle pouvait dire : « Michel est à moi
depuis le cordon de sa perruque jusqu’à la semelle de ses
souliers ! » en ce temps donc, Marguerite et moi nous
écrivîmes tous les deux au père Chauvel, à l’armée des Alpes, pour
lui raconter ce qui s’était passé et lui demander son consentement.
Il nous l’envoya tout de suite, disant que son seul regret était de
ne pas être à Phalsbourg, mais qu’il approuvait tout et chargeait
son ami Jean Leroux de le remplacer comme père au mariage.
    Il fit aussi d’autres invitations à la noce,
car cet homme de bon sens, même au milieu des plus grandes
affaires, voyait ce qui se passait au loin et n’oubliait rien dans
des occasions pareilles. Notre mariage fut arrêté pour le 3
messidor an II de la république, ou, si vous aimez mieux, pour le
21 juin 1794. C’était au temps de la plus grande disette. Tout le
monde sait que, dans les temps ordinaires, le mois de juin est
difficile à passer ; la récolte des grains se fait en juillet
et en août. Qu’on se figure l’état du pays après 93 ; tout
était consommé depuis longtemps, et l’on ne pouvait encore rien
récolter. Il n’arrivait plus rien au marché, les pauvres gens
allaient, comme avant la révolution, faucher les orties, et s’en
nourrissaient, en les cuisant avec un peu de sel.
    Mon Dieu ! qu’est-ce que je puis encore
vous dire ? Malgré la rigueur du temps, malgré le ravage du
pays par les Allemands et la cherté des vivres ; malgré les
listes d’anciens constituants, d’anciens présidents, d’anciens
juges, d’anciens fermiers généraux, – les complices de Louis Capet,
de Lafayette et de Dumouriez, – qu’on menait à guillotine, malgré
tout, la noce fut joyeuse. Le festin dura jusqu’à neuf heures du
soir ; on battait la retraite lorsque les amis partirent,
riant et chantant, se souhaitant bonne nuit ; on n’aurait pas
cru que nous étions en pleine terreur. Mon père, maître Jean, dame
Catherine, reprirent le chemin des Baraques ; mon frère
Étienne ferma la boutique et monta se coucher ; Marguerite et
moi nous restâmes seuls ensemble, les plus heureux du monde.
    Ainsi se passa mon mariage, et naturellement
ce fut le plus beau jour de ma vie.
    Maître Jean m’avait prévenu que l’ouvrage ne
manquerait pas aux Baraques, et que je pourrais reprendre mon vieux
marteau quand cela me conviendrait ; il m’avait aussi fait
entendre que j’aurais bientôt sa forge et qu’il irait surveiller
lui-même sa ferme de Pickeholz.
    J’étais donc débarrassé de toute inquiétude
sur l’avenir, sachant que mes trois livres m’attendaient tous les
jours. Les choses prirent pourtant une autre tournure que je ne
pensais. Le lendemain matin, comme Étienne, Marguerite et moi, nous
déjeunions dans notre petite bibliothèque, avec un restant de lard,
des noix et un verre de vin, – nos trois almanachs pendus aux
vitres sur la rue des Capucins, un paquet de gazettes à droite, la
grosse cruche d’encre à gauche, enfin au milieu de notre fonds de
boutique, tout heureux de vivre pour la première fois en famille, –
au moment de remettre ma grosse veste de forgeron, je racontai les
belles promesses que m’avait faites le parrain, pensant réjouir
tout le monde. Marguerite, en petite camisole blanche du matin,
m’écoutait d’un air tranquille, et, tout à coup, élevant sa voix
claire, elle me répondit :
    – C’est très bien, Michel. Que maître
Jean aille soigner sa

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