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Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte

Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte

Titel: Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Erckmann-Chatrian
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ferme de Pickeholz et quitte sa forge, ça le
regarde ; mais nous autres, nous devons songer à nos propres
affaires.
    – Hé ! ma bonne Marguerite, lui
dis-je, qu’est-ce que je pourrais faire ici, les bras
croisés ? N’est-ce pas assez que tu m’aies rhabillé de fond en
comble, veux-tu donc encore me nourrir ?
    – Non, non, ce n’est pas ce que je veux,
dit-elle. Étienne, j’entends aller la sonnette, va voir ce que les
gens demandent ; il faut que je cause avec ton frère.
    Étienne sortit, et Marguerite, assise auprès
de moi, devant le petit bureau de son père, m’expliqua que nous
allions étendre notre commerce, vendre des épiceries : poivre,
sel, café, etc. ; que nous achèterions tout de première main,
chez les Simonis de Strasbourg, et que cela nous rapporterait bien
plus que les livres et les gazettes, parce que le monde, avant de
s’instruire, songe d’abord à manger.
    – Sans doute, sans doute, lui dis-je,
c’est une fameuse idée ; seulement il faudrait avoir de
l’argent.
    – Nous en avons un peu, dit-elle ; à
force d’économie, j’ai pu mettre quatre cent cinquante livres de
côté ; mais c’est encore la moindre des choses : le nom
de Chauvel est connu de toute l’Alsace et la Lorraine, partout on
le respecte ; si nous voulons avoir des marchandises à crédit,
nous en aurons.
    Quand j’entendis parler de crédit, les cheveux
m’en dressèrent sur la tête ; je revis devant moi le vieil
usurier Robin qui toquait à la vitre ; mon pauvre père en
route pour la corvée, et la mère qui criait : « Ah !
gueuse de chèvre ! gueuse de chèvre !… elle nous fera
tous périr ! » J’en eus froid dans le dos et je ne pus
m’empêcher de le dire à Marguerite. Elle voulut alors me faire
comprendre que c’était bien différent, que nous allions acheter
pour revendre, que nous aurions cinquante jours et même trois mois
d’avance. Rien de tout cela n’entrait dans ma tête ; le seul
mot de crédit m’épouvantait. Elle le vit bien et finit par me dire
en souriant :
    – Bon, c’est bon, Michel ; tu ne
veux pas de crédit, nous n’en demanderons pas ; seulement nous
pouvons acheter de la marchandise avec l’argent que j’ai, n’est-ce
pas ?
    – Ah ! pour ça, oui, c’est autre
chose ; quand tu voudras Marguerite.
    – Eh bien, fit-elle en se levant, partons
tout de suite ; j’ai l’argent là tout prêt. Notre commerce de
gazettes ne va plus, la misère est trop grande, on n’a plus un
liard de trop pour savoir les nouvelles. Ne perdons pas de
temps.
    Elle était vive et toute décidée. Moi, bien
content de savoir que nous ne prendrions rien à crédit, je ne
demandais pas mieux que d’aller avec Marguerite à Strasbourg. Il
fallut retenir tout de suite nos places au coche de Baptiste ;
il partait à midi juste. J’avais le sac d’argent dans ma veste
boutonnée. Nous étions derrière, serrés les uns contre les autres,
avec des Alsaciens qui rentraient chez eux. Il faisait une
poussière extraordinaire en ce mois de juin, d’autant plus que les
routes, mal entretenues, avaient des ornières d’un pied, et que les
talus roulaient en poussière jusqu’au milieu des champs. On ne
respirait pas. C’est tout ce qui me revient de notre voyage.
Marguerite et moi nous nous regardions comme des êtres bien
heureux. On fit halte à la montée de Wasselonne ; les
Alsaciens descendirent enfin, grâce à Dieu, et nous finîmes par
arriver nous-mêmes à la nuit. Marguerite connaissait
Strasbourg ; elle me conduisit à l’auberge de la
Cave-Profonde, que tenait alors le grand-père Diemer. Nous eûmes
une chambre. Quel bonheur de se laver avec de l’eau fraîche, après
une route pareille ! Les gens d’aujourd’hui ne peuvent plus
même s’en faire l’idée, c’est impossible ; il faut avoir passé
par là.
    Une chose qui me revient encore, c’est que sur
les huit heures une servante monta nous demander si nous souperions
à la grande ou bien à la petite table ; j’allais répondre que
nous souperions à la petite table, pensant que c’était celle des
domestiques et que cela nous coûterait moins ; par bonheur
Marguerite répondit aussitôt que nous souperions à la grande ;
et, la servante étant partie, elle m’expliqua qu’on ne payait à la
grande table que vingt-cinq sous, parce que tout le monde,
rouliers, gens du marché, paysans, y mangeaient et ne tenaient pas
à payer cher ; au lieu qu’à la petite

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