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Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte

Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte

Titel: Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Erckmann-Chatrian
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Bar-le-Duc, Commercy, Toul, Nancy,
Lunéville… Ah ! c’est encore la vue des montagnes qui me remua
le cœur, ces vieilles montagnes bleues qui seront encore là quand
nous n’y serons plus depuis des siècles, que nos enfants et nos
petits-enfants verront après nous, et salueront comme nous les
avons saluées en revenant de la terre étrangère : les hauteurs
du Dagsbourg, où l’on a bâti depuis une petite chapelle blanche, et
plus loin à droite, le Donon, qui seul conservait sa grande traînée
de neige au-dessus des bois. Enfin j’approchais de chez nous ;
il faisait un temps superbe.
    Ce jour-là, j’étais parti de Sarrebourg à
quatre heures du matin, et vers neuf heures je descendais la côte
de Mittelbronn ; je revoyais les Maisons-Rouges, les Baraques
d’en haut et du Bois-de-Chênes, et la ligne des remparts. Vingt
minutes après je passais la porte de France. Ai-je besoin de vous
peindre nos embrassades, notre attendrissement ; les larmes de
Marguerite en me voyant si faible et pensant que j’avais traversé
toute la France dans cet état, pour la retrouver ; la
désolation d’Étienne et celle du vieux père qui vint aussitôt, car
le brave homme avait apporté des paniers à vendre sur le
marché ? Ces choses, quand j’y songe, me touchent encore.
    À peine assis dans la bibliothèque, après
avoir tant souffert et tant eu de force pendant la route, je me
sentis comme épuisé. Je serrais mon père dans mes bras, lorsque les
crachements de sang me reprirent d’une façon terrible, et, pour la
première fois depuis le combat de Port-Saint-Père, je tombai sans
connaissance. On me crut mort. C’est dans le lit de Chauvel, vers
le soir, que je m’éveillai, si faible qu’il ne me restait plus que
le souffle. Marguerite était penchée sur moi et pleurait à chaudes
larmes. Je lui pris la tête dans mes mains et je l’embrassai en
criant :
    – J’ai bien fait, n’est-ce pas, de me
dépêcher pour te voir encore ?
    Le père, lui, n’avait pu rester, étant trop
désolé. Pourtant M. le docteur Steinbrenner, alors un jeune
homme, mais déjà plein de bon sens, avait dit que je n’étais pas en
danger de mort, qu’il ne me fallait que du repos et de la
tranquillité. Il avait seulement recommandé de ne laisser entrer
aucun patriote, parce qu’ils n’auraient pas manqué de me demander
des nouvelles.
    C’est dans ce temps que je reconnus tout
l’amour de Marguerite, et que je compris combien j’étais heureux.
Jamais personne n’a reçu les mêmes soins que moi ; jour et
nuit Marguerite me veillait et me soignait ; elle ne
s’inquiétait plus de leur commerce.
    Je me remis lentement. Au bout de trois
semaines Steinbrenner déclara que j’étais sauvé, mais qu’il avait
eu peur bien des fois de me voir passer d’une minute à l’autre. Que
voulez-vous ? on trompe les malades pour leur bien, et je
trouve qu’on n’a pas tort ; les trois quarts perdraient
courage s’ils connaissaient leur état. Enfin j’étais hors de
danger, et seulement alors Steinbrenner permit de me donner un peu
de nourriture. Tous les matins Nicole venait de l’auberge des
Trois-Pigeons, avec un petit panier au bras, demander de mes
nouvelles ; c’est maître Jean qui l’envoyait. En cette année
94, le sucre se vendait trente-deux sous un denier la livre, et la
viande, on ne pouvait en avoir, même avec de l’argent. Ah !
brave maître Jean, vous m’avez traité comme votre propre
fils ; dans tous les malheurs de la vie, vous m’avez tendu la
main ; vous étiez l’honnêteté, la bonté même ; que les
hommes comme vous sont rares, et quel long souvenir ils laissent
dans le cœur de ceux qui les ont connus ! Nicole passait par
la cuisine et je ne manquais de rien. Marguerite, en voyant mon bon
appétit, me souriait. Maître Jean et les patriotes Élof Collin,
Létumier, Raphaël Manque venaient aussi me serrer la main.
    C’est principalement après les grandes
maladies qu’on se réjouit de vivre, et qu’on revoit les choses en
beau ; moi, tout m’attendrissait et me faisait pleurer comme
un enfant ; rien que la lumière du jour à travers les rideaux
me donnait des éblouissements ; et que Marguerite me
paraissait belle alors, avec ses cheveux noirs, son teint pâle, ses
dents blanches ! O Dieu ! quand j’y pense, je rattrape
mes vingt ans !
    Au bout d’un mois, j’avais repris mes
forces ; j’aurais pu facilement m’en aller aux Baraques, mais
l’idée

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