Hitler m'a dit
guerre, c’est moi ! »
II
UNE SOIRÉE ET UNE MATINÉE
À L’OBERSALZBERG
Nous étions venus de Dantzig, Forster, Linsmayer et moi. Il était tout près de minuit quand notre train entra en gare de Berchtesgaden. La voiture d’Hitler nous attendait. Il nous fallut vingt bonnes minutes avant d’arriver à l’Obersalzberg après un trajet à nous rompre le cou, mais Hitler tenait absolument à nous voir encore cette nuit.
Il s’avança à notre rencontre. Il avait des visites : quelques dames. Sa maison était petite, d’aspect modeste et sympathique. La réception avait lieu dans la pièce de style rustique bavarois, qui tenait toute la largeur du rez-de-chaussée. Devant le grand poêle, un simple banc de bois. Des oiseaux effarouchés piaillaient dans une volière suspendue au plafond. Hess nous salua et fit les présentations. Hitler nous offrit du kirsch : de l’alcool dans la maison d’un abstinent ! Il faisait d’ailleurs assez froid, et l’air vif de la montagne contrastait durement avec la chaleur estivale que nous avions dû supporter pendant le voyage en chemin de fer. Nous étions au mois d’août de 1932. J’avais déjà rencontré Hitler, en public, mais c’était la première fois que je pénétrais dans son intimité. Son intérieur était plaisant et confortable comme celui d’un petit bourgeois allemand d’avant-guerre, avec ses rideaux de madapolam et ses meubles rustiques, mais n’était certes pas le cadre d’un futur libérateur de l’Allemagne.
Quelle impression Hitler produit-il ? C’est la question qu’on pose à tous ceux qui l’ont approché. Pour ma part, je me souviens qu’il éveilla en moi des émotions contradictoires. Dans ce cadre, le grand tribun disparaissait, s’effaçait jusqu’à n’être plus qu’un petit bourgeois insignifiant. Autour de lui, tout était sympathique, mais rien ne se distinguait par une note personnelle. La présence, à cette heure, d’un certain nombre de dames d’âge plus que canonique, me surprit. Hitler avait-il véritablement besoin de la dévotion fidèle de ces femmes pour conserver sa confiance en lui-même ?
Hitler, n’a vraiment rien qui puisse attirer. Tout le monde le sait fort bien aujourd’hui, mais à cette époque, parmi les membres du parti et les sympathisants, il n’était question que de ses yeux profonds et bleus. Or, ses yeux ne sont ni profonds ni bleus. Leur regard tantôt est fixe, tantôt éteint. Il leur manque cet éclat, cette lumière, qui est le reflet de l’âme. Sa voix sombre, au timbre étrange, est choquante pour un Allemand du Nord. Son intonation est pleine, mais sifflante, comme s’il avait les narines obstruées. Au reste, cette voix criarde, gutturale, menaçante et frénétique, est devenue célèbre dans le monde entier. Elle incarne le tourment contemporain, et pendant longtemps, elle restera comme le symbole d’une époque de folie, sans que personne comprenne comment il a pu émaner d’elle un charme quelconque.
Le magnétisme personnel est un phénomène tout à fait particulier. J’ai éprouvé sur moi et sur d’autres que s’y laisse prendre uniquement celui qui le veut bien. J’ai remarqué qu’Hitler produisait la plus forte impression sur des personnes facilement influençables et chez qui l’élément féminin domine, ou encore sur des gens portés au byzantinisme et au culte de l’individu, soit par suite de leur éducation, soit à cause de leur position sociale. L’aspect physique d’Hitler ne contribue certes pas à rehausser sa capacité de séduction. Son front est fuyant et disgracieux. La mèche de cheveux qui lui tombe sur les yeux, sa petite taille sans prestance, la disproportion de ses membres, sa gaucherie, ses pieds plats d’une longueur démesurée, son nez hideux, sa bouche sans expression et sa petite moustache en brosse, en font un être plutôt disgracié. Rien n’attire en lui, sauf peut-être ses mains, qui sont remarquablement bien formées et expressives. Quelle différence avec le visage merveilleusement jeune et intelligent de Napoléon, tel du moins que le représente le masque pris après sa mort. Un dictateur autoritaire, cet homme au visage maussade, crispé et dissymétrique ? Il lui manque sans aucun doute, l’équilibre qui caractérise le chef. Il lui manque surtout la marque de la virilité.
Hitler nous reçut avec une cordialité joviale. À cette époque, un crime bestial venait d’être commis en Haute
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