Hitler m'a dit
Hess a un visage infâme, avec ses petits yeux enfoncés, ses pommettes saillantes. Tous l’épient. Ils ont tout singé, sa technique, sa ruse et son astuce. Il n’y a ni sincérité, ni honnêteté parmi les camarades du parti. Chacun épie l’autre comme son ennemi mortel. Ceci était bien au début, quand son intérêt était d’opposer l’un à l’autre. Mais à présent, il n’a personne sur qui compter. Tous sont des égoïstes, tous des traîtres.
Et la masse, et ses anciens adversaires ? Ne sont-ils pas plus nombreux que jamais ? Ne relèvent-ils pas de nouveau la tête ? Ces officiers, ces hobereaux devant lesquels il se sent toujours encore intimidé, ces fonctionnaires prétentieux, ces industriels bornés ! Les masses commencent à lui échapper. Il le voit. Son intuition infaillible ne peut le tromper. Les Allemands n’ont plus d’échine. Ils faiblissent. Et comment maintenant pourra-t-il mener la guerre ? Avec ces poltrons ?
Les problèmes se multiplient, deviennent indépendants de sa volonté. Autrefois, c’était lui qui les posait. Maintenant ils s’imposent à lui. Les événements s’enchaînent à une cadence folle. Il ne les domine plus. Il est entraîné lui-même. Il n’a plus de liberté pour décider. Ses tâches mortelles ont une volonté propre, elles entraînent où il ne veut pas aller. Faudra-t-il à présent qu’il réalise ce qu’il a toujours passionnément combattu ? Ne devra-t-il pas marcher, pas à pas, dans la direction opposée à celle qu’il avait choisie ?
En vérité, il n’a rien créé de durable. Tout s’évaporera comme un brouillard du matin. Il connaît assez bien les masses. Il a vécu parmi elles. Il leur a été trop proche pour ne pas les mépriser à tout jamais. Les masses le mépriseront et le haïront à leur tour. Elles se vengeront, avec la sauvagerie haletante des déshérités, d’avoir un jour cru en lui de l’avoir acclamé. Lui, qui n’est pourtant pas plus qu’elles, lui qui sort du ruisseau comme elles. Lui qui a triché pour s’élever, pour arriver là où il n’a rien su faire. Les femmes lui cracheront au visage. Elles pousseront des cris de haine et de mort.
N’est-il pas déjà mort, de toutes façons ? Il est pris de vertige. Sa vie n’a été qu’une hallucination. On l’appellera le Grand Coupable. On dira qu’il n’a rien produit, qu’il n’a fait que détruire. Les fondations de son empire chancellent. L’Autriche et la Tchécoslovaquie ne se détachent-elles pas déjà ? Peut-il les retenir ? N’a-t-il pas creusé pour l’éternité un fosse entre le Reich et l’Autriche ? Où est la grande Confédération germanique, l’organisation fédérative de l’Europe ? Qu’adviendra-t-il de sa constitution sociale ? De sa puissance militaire ?
Le doute et l’anxiété lui serrent la gorge, il est de nouveau enroué, il est malade. Il se tâte le pouls. Il a peur. Les fils se resserrent autour de lui. « Je ne veux pas mourir. » La sueur le couvre, il tremble. La prophétie, le dernier horoscope ! Il n’a pas voulu croire à avertissement…
La solitude l’oppresse, il a besoin de voir des hommes. Il a besoin d’agir. Il n’a pas le droit de penser. Il n’y a qu’une chose qui compte : agir.
Il se dirige vers l’ascenseur.
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