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Hommage à la Catalogne

Hommage à la Catalogne

Titel: Hommage à la Catalogne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: George Orwell
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morceau triangulaire de fromage de chèvre que je fourrai dans ma cartouchière à côté de mes bombes. Quelques jours plus tard, je fus bien heureux d’avoir ce morceau de fromage.
    Au coin de la rue où, la veille, j’avais vu des anarchistes commencer à tirer, s’élevait maintenant une barricade. L’homme qui se tenait derrière (j’étais, moi, de l’autre côté de la rue) me cria de prendre garde. De la tour de l’église, les gardes civils faisaient feu sans distinction sur tous ceux qui passaient. Je m’arrêtai un instant, puis franchis en courant l’espace à découvert. Effectivement, une balle passa en sifflant près de moi, désagréablement près. Quand je fus aux abords du siège du comité exécutif du P.O.U.M., mais encore de l’autre côté de l’avenue, de nouveaux cris d’avertissement me furent adressés par quelques hommes des troupes de choc qui se tenaient dans l’encadrement de la porte – cris d’avertissement dont, sur le moment, je ne compris pas le sens. Il y avait des arbres et un kiosque à journaux entre le siège et moi (les avenues de ce genre, en Espagne, ont un large trottoir central) et il ne m’était pas possible de voir ce qu’ils montraient. Je parvins au Continental, m’assurai que tout allait bien, me lavai le visage et retournai au siège du comité exécutif du P.O.U.M. (qui se trouvait à cent mètres plus bas dans l’avenue) pour demander quels étaient les ordres. Dans l’intervalle, le grondement, en divers points, des tirs de fusils et de mitrailleuses était devenu presque comparable au fracas d’une bataille. Je venais juste de trouver Kopp et j’étais en train de lui demander ce que nous étions censés faire quand retentirent en bas, dans la rue, une série d’explosions effrayantes. Le fracas fut si violent que je fus persuadé qu’on nous tirait dessus avec un canon de campagne. En réalité, il ne s’agissait que de grenades à main, qui font le double de leur bruit habituel lorsqu’elles explosent parmi des bâtiments de pierre. Kopp alla à la fenêtre jeter un coup d’œil dehors, redressa sa canne derrière son dos, dit : « Allons nous rendre compte », et descendit l’escalier comme s’il allait se balader, l’air détaché comme à son habitude, moi le suivant. Juste un peu en retrait de l’encadrement de la porte, un groupe d’hommes des troupes de choc faisaient rouler des bombes sur la chaussée, comme s’ils jouaient aux quilles. Les bombes éclataient vingt mètres plus loin en faisant un fracas effroyable, à briser le tympan, auquel se mêlaient les claquements des coups de fusil. Au milieu de l’avenue, de derrière le kiosque à journaux, une tête – c’était la tête d’un milicien américain que je connaissais bien – surgissait, qui avait exactement l’air d’une noix de coco à un stand de foire. Ce fut seulement après coup que je compris ce qui se passait au juste. Dans la maison voisine du siège du P.O.U.M. il y avait un café avec un hôtel au-dessus, appelé le café Moka. La veille, vingt ou trente gardes civils armés avaient pénétré dans le café, puis, sitôt le déclenchement des troubles, ils s’étaient brusquement rendus maîtres de toute la maison et s’y étaient barricadés. Il y avait lieu de croire qu’ils avaient reçu l’ordre de s’emparer du café, à titre de mesure préalable à l’attaque ultérieure des locaux du P.O.U.M. De bonne heure le matin, ils avaient tenté une sortie, des coups de feu avaient été échangés et un homme des troupes de choc avait été grièvement blessé et un garde civil tué. Les gardes civils avaient reflué dans le café, mais lorsqu’ils avaient vu l’Américain descendre l’avenue ils avaient ouvert le feu sur lui, bien qu’il ne fût pas armé. L’Américain s’était jeté derrière le kiosque pour se mettre à l’abri, et les hommes des troupes de choc lançaient des bombes pour faire rentrer à nouveau les gardes civils dans la maison.
    Il suffit à Kopp d’un coup d’œil pour saisir la situation ; il continua d’avancer et tira en arrière un Allemand roux des troupes de choc qui venait juste d’arracher la goupille de sûreté d’une bombe avec ses dents. Il cria à tout le monde de ne pas rester sur le seuil, de se reculer, et nous dit en plusieurs langues qu’il fallait absolument éviter une effusion de sang. Puis il sortit et s’avança sur la chaussée, sous les yeux des gardes civils, retira

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