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Hommage à la Catalogne

Hommage à la Catalogne

Titel: Hommage à la Catalogne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: George Orwell
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ostensiblement son pistolet et le posa par terre. Deux officiers espagnols des milices firent de même, et tous trois s’avancèrent lentement vers l’encadrement de la porte où les gardes civils se pressaient. Cela, on m’aurait donné vingt livres que je ne l’aurais pas fait ! Ils s’avançaient, désarmés, vers des hommes qui avaient perdu la tête et qui avaient à la main des fusils chargés. Un garde civil, en manches de chemise et blême de peur, sortit sur le trottoir pour parlementer avec Kopp. Il ne cessait de montrer du doigt avec agitation deux bombes non éclatées qui gisaient sur la chaussée. Kopp revint vers nous nous dire qu’il valait mieux faire exploser ces bombes. À demeurer là, elles constituaient un danger pour tous ceux qui passaient. Un homme des troupes de choc tira un coup de fusil sur l’une des bombes et la fit éclater, puis fit feu sur l’autre, mais la manqua. Je lui demandai de me passer son fusil, m’agenouillai et tirai sur la seconde bombe. Je regrette d’avoir à dire que, moi aussi, je la manquai. C’est le seul coup de feu que j’ai tiré durant les troubles. La chaussée était jonchée de débris de verre provenant de l’enseigne du café Moka et deux autos qui étaient garées à l’extérieur – l’une d’elles était l’auto officielle de Kopp – avaient été criblées de balles et avaient eu leur pare-brise pulvérisé par l’explosion des bombes.
    Kopp m’emmena de nouveau en haut et m’exposa la situation. Nous devions défendre les locaux du P.O.U.M. s’ils étaient attaqués, mais d’après les instructions envoyées par les leaders du P.O.U.M. il nous fallait rester sur la défensive et ne pas engager la lutte s’il était possible de l’éviter. Exactement en face de nous il y avait un cinéma, appelé le Poliorama, au-dessus duquel se trouvait un musée, et tout à fait au dernier étage, dominant de haut le niveau général des toits, un petit observatoire avec deux dômes jumeaux. Les dômes commandaient la rue et il suffisait donc de quelques hommes postés là-haut avec des fusils pour empêcher toute attaque contre le siège du P.O.U.M. Les concierges du cinéma étaient membres de la C.N.T. et nous laisseraient aller et venir. Quant aux gardes civils dans le café Moka, on n’aurait pas d’ennuis avec eux ; ils n’avaient pas envie de se battre et se laisseraient volontiers persuader qu’il faut que tout le monde vive. Kopp répéta que nous avions l’ordre de ne pas tirer à moins qu’on ne nous tirât dessus ou que nos locaux fussent attaqués. Je compris, sans qu’il en soufflât mot, que les leaders du P.O.U.M. étaient furieux d’être entraînés dans cette histoire, mais avaient le sentiment qu’ils devaient faire cause commune avec la C.N.T.
    On avait déjà placé des sentinelles dans l’observatoire. Les trois jours et nuits suivants, je les ai passés sur le toit du Poliorama que je ne quittais que durant les courts moments où je faisais un saut jusqu’à mon hôtel pour les repas. Je ne courus aucun danger, je n’eus rien de pire à souffrir que la faim et l’ennui, et pourtant ce fut l’une des périodes les plus insupportables de ma vie tout entière. Je crois que l’on ne peut guère vivre de moments qui écœurent et désillusionnent plus et martyrisent les nerfs davantage que ces affreux jours de guerre de rues.
    Je demeurais là, assis sur le toit, et l’absurdité de tout cela me remplissait d’étonnement.
    Des petites fenêtres de l’observatoire on avait vue sur des kilomètres à la ronde – d’innombrables perspectives de hauts immeubles élancés, de dômes de verre et de fantastiques toits ondulés de tuiles d’un vert brillant à reflets cuivrés ; à l’est le scintillement de la haute mer – c’était la première fois que je voyais la mer depuis mon arrivée en Espagne. Et cette énorme ville d’un million d’habitants était plongée dans une sorte d’inertie pleine de sourde violence, dans un cauchemar de bruit sans mouvement. Les rues inondées de soleil étaient absolument désertes. Nulle autre manifestation de vie que les rafales de balles venant des barricades et des fenêtres protégées par des sacs de terre. Pas un véhicule ne circulait dans les rues ; çà et là le long des Ramblas, des tramways étaient demeurés immobilisés à l’endroit où le conducteur avait sauté à bas, lorsque les combats avaient commencé. Et tout le temps ce vacarme

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