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Hommage à la Catalogne

Hommage à la Catalogne

Titel: Hommage à la Catalogne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: George Orwell
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vivres dans notre local, sauf quelques tablettes de chocolat, et le bruit avait couru qu’« ils » allaient nous couper l’eau (Personne ne savait qui, au juste, ce « ils » désignait C’était peut-être le gouvernement qui avait la haute main sur les usines de distribution d’eau, ou peut-être la C.N.T., personne ne savait.) Nous passâmes beaucoup de temps à remplir toutes les cuvettes dans les lavabos, tous les seaux que nous pûmes trouver, et finalement les quinze bouteilles à bière, vides à présent, que les gardes civils avaient données à Kopp.
    J’étais d’une humeur épouvantable, et vanné d’avoir passé quelque soixante heures à peu près sans dormir. On était maintenant à une heure avancée de la nuit. En bas, les hommes dormaient, étendus par terre derrière la barricade. En haut, il y avait une petite chambre garnie d’un divan, dont nous avions l’intention de faire un poste de secours, bien que, est-il besoin de le dire, nous nous aperçûmes qu’il n’y avait ni teinture d’iode ni bandes de pansement dans le local. Ma femme avait quitté l’hôtel pour venir nous rejoindre, pour le cas où nous aurions besoin d’une infirmière. Je m’étendis sur le divan, éprouvant le désir de goûter une demi-heure de repos avant l’attaque du café Moka au cours de laquelle il était à présumer que je serais tué. Je me souviens de la sensation de gêne insupportable que j’éprouvai du fait de mon pistolet qui, attaché à mon ceinturon, me rentrait dans les reins. Et la chose suivante dont je me souvienne c’est de m’être réveillé en sursaut, pour trouver ma femme debout à côté de moi. Il faisait grand jour, il ne s’était rien passé, le gouvernement n’avait pas déclaré la guerre au P.O.U.M., l’eau n’avait pas été coupée et, si l’on faisait abstraction de quelques fusillades par-ci par-là dans les rues, tout était comme à l’ordinaire. Ma femme me dit qu’elle ne s’était pas senti le cœur de me réveiller et avait dormi dans un fauteuil, dans l’une des chambres sur le devant.
    L’après-midi il y eut une sorte d’armistice. Le bruit de la fusillade s’éteignit peu à peu, et soudain, comme par un coup de théâtre, les rues s’emplirent de monde. Quelques magasins commencèrent à relever leurs tabliers de tôle et une foule énorme envahit le marché, réclamant des denrées et se pressant autour des étals d’alimentation, bien qu’ils fussent à peu près vides. Il est à remarquer, cependant, que les tramways ne recommencèrent pas à circuler. Les gardes civils étaient toujours derrière leurs barricades dans le café Moka ; ni l’un ni l’autre camp n’évacua les locaux fortifiés. Tout le monde courait çà et là aux alentours, cherchant à acheter des vivres. Et de tous côtés on entendait poser la même question anxieuse : « Pensez-vous que ça soit fini ? Pensez-vous que ça va recommencer ? » À « ça », au conflit, on y songeait à présent comme à une sorte de calamité naturelle, comme à un cyclone ou à un tremblement de terre, qui nous frappait tous pareillement et qu’il n’était pas en notre pouvoir d’empêcher. Et, effectivement, presque tout de suite – je crois qu’en réalité il doit y avoir eu une trêve de plusieurs heures, mais ces heures nous firent l’effet de minutes – le claquement soudain d’un coup de feu, comme une rafale de pluie en juin, provoqua un sauve-qui-peut général, les tabliers de tôle des magasins retombèrent avec un bruit sec, les rues se vidèrent comme par enchantement, les barricades se garnirent d’hommes ; « ça » avait recommencé.
    Je regagnai mon poste sur le toit avec un profond dégoût et une fureur concentrée. Quand on est en train de prendre part à des événements tels que ceux-ci, je suppose qu’on est en train, dans une modeste mesure, de faire de l’histoire, et l’on devrait, en toute justice, avoir l’impression d’être un personnage historique. Mais non, on ne l’a jamais, parce qu’à de tels moments, les détails d’ordre physique l’emportent toujours de beaucoup sur tout le reste. Pendant toute la durée des troubles, il ne m’est pas arrivé une seule fois de faire l’« analyse » exacte de la situation, comme le faisaient avec tant d’aisance les journalistes à des centaines de kilomètres de là. Ce à quoi je songeais surtout, ce n’était pas au juste et à l’injuste dans cette déplorable

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