Iacobus
des motifs strictement personnels et favorisée depuis le début
par le grand maître de Rhodes, était toute simple : je devais retrouver
dans ce lieu quelqu’un de très important dont j’ignorais tout, son nom, son
visage, et s’il résidait encore là. Mais j’avais assez de confiance en la
Providence, et en mes talents, pour espérer me tirer avec succès de cette
mission épineuse. Ne m’avait-on pas surnommé le Perquisitore ?
Je franchis au pas la grande porte de la
muraille et descendis lentement de cheval pour ne pas troubler par mon arrivée
la paix de ces lieux. Le frère cellérier qui avait été prévenu de mon arrivée
vint à ma rencontre. J’appris par la suite qu’un novice surveille toujours les
alentours depuis la tour lanterne de l’église, une coutume qui date des temps
pas si lointains des aceifas [3] maures. Prenant
mon cheval par la bride, c’est accompagné du petit cellérier que je pénétrai
dans l’enceinte dont j’admirais la parfaite disposition. Les dépendances et
édifices du monastère étaient tous organisés autour du cloître principal. Un
autre, plus petit et plus ancien, était situé à gauche d’un modeste bâtiment
qui me sembla être l’hôpital.
Nous fîmes halte enfin devant la porte
principale de l’abbaye où me reçut fort courtoisement le sous-prieur, un moine
jeune et sérieux d’aspect noble et sans aucun doute de lignage élevé, comme le
laissaient supposer ses manières. Il me conduisit aussitôt dans la très belle
maison de l’abbé. Ce dernier, accompagné du prieur, me reçut aussi de façon
fort courtoise. On devinait qu’il s’agissait de personnages importants habitués
à recevoir d’illustres visiteurs. Leur empressement et leur amabilité
s’accrurent quand ils me virent sortir de ma cellule revêtu de l’habit qui se
rapprochait le plus de la tenue de leur ordre sans pour autant contrevenir à
leur règle : une longue tunique blanche avec pèlerine, sans scapulaire ni
ceinturon, et aux pieds une paire de sandales de cuir brut différentes des
leurs qui étaient noires et fermées. En me promenant dans le cloître je pus
vérifier que cette tenue protégeait bien plus du froid que mon pourpoint à
manches larges et ma cotte ; mon corps, accoutumé aux grandes rigueurs,
s’habitua donc rapidement à ce vêtement qui serait désormais le sien.
L’hiver approchait. La neige n’était pas
inhabituelle à Ponç de Riba, mais cette année-là se révéla particulièrement
dure, non seulement pour les récoltes, mais aussi pour les hommes. Le nouvel an
nous surprit, nous les habitants du monastère, assiégés sous un interminable
linceul de neige.
Pendant les semaines qui suivirent mon arrivée,
je fis de mon mieux pour rester en marge des intrigues du lieu. Bien que de
nature différente, les maisons des chevaliers hospitaliers connaissent aussi
ces situations de profonde tension presque toujours provoquées par des motifs
futiles. Un bon abbé ou un bon prieur – comme un bon maître ou un bon sénéchal
– se distingue précisément par la maîtrise qu’il exerce sur sa communauté et
son habileté à éviter ce genre de problèmes.
Mon éloignement de la vie du monastère ne
pouvait être total cependant. En tant que moine hospitalier, je devais assister
aux offices religieux communautaires, et comme médecin, je passais quelques
heures par jour à l’hôpital à soigner les frères malades. Je ne participais
jamais, bien sûr, aux chapitres qui étaient une affaire privée, et je n’étais
aucunement tenu d’accomplir des tâches qui m’eussent déplu. Les laudes, primes,
tierces, sextes, nones, vêpres et complies rythmaient mes journées divisées
avec une rigueur mathématique en heures d’étude, repas, promenade, travail et
sommeil. Parfois, pris d’inquiétude et de nostalgie pour mon île lointaine, je
faisais indéfiniment le tour du cloître, contemplant ses singuliers chapiteaux,
ou bien je montais à la tour lanterne de l’église pour tenir compagnie au
novice vigie quand je ne déambulais pas entre la bibliothèque et la salle
capitulaire, le réfectoire et les dortoirs, les bains et la cuisine. J’essayais
ainsi d’apaiser mon esprit et d’atténuer l’impatience que j’éprouvais à
rencontrer enfin cet être qu’en mon for intérieur j’avais baptisé Jonas, non
comme le Jonas qui entra terrorisé dans le ventre de la baleine, mais comme
celui qui s’en échappa, libre et
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