Iacobus
d’une demi-livre
à une livre entière par personne.
Le chapitre en était à sa troisième semaine
quand, par une chaude journée, et dans un silence total, le novice de la tour
lanterne fit soudain sonner la cloche avec énergie, annonçant l’arrivée de
visiteurs. Le sous-prieur quitta aussitôt la salle capitulaire pour prendre en
charge les nouveaux venus, et le frère cellérier retira du verger où ils
travaillaient plusieurs serfs qu’il chargea des devoirs d’hospitalité pendant
l’absence des moines.
Je travaillais alors avec Jonas dans la forge.
Je lui apprenais à limer les délicats instruments chirurgicaux que nous avions
réussi à fabriquer, non sans mal, en copiant ceux qui étaient décrits par
maître Abulcasis. Cette tâche exigeait toute notre attention car, privés des
conseils du frère forgeron, nous façonnions souvent des instruments trop
fragiles qui finissaient par se casser entre nos mains comme des statuettes
d’argile. Notre concentration était telle que nous ne sortîmes pas recevoir nos
visiteurs comme il eût été convenable de le faire. Mais ces derniers ne
tardèrent guère à se présenter.
— Chevalier Galcerán de Born, cria une voix
familière, comment osez-vous porter ce tablier sale de forgeron en présence des fratres milites de votre ordre !
— Johannot de Talhull... !
Gérard ! m’exclamai-je en levant brusquement la tête.
— Vous serez sévèrement sanctionné par le
grand maître ! brama mon frère Johannot en me serrant à son tour dans ses
bras.
En entendant le cliquetis des cottes de mailles
et des épées, j’eus soudain l’impression de me réveiller d’un long sommeil.
— Frères ! balbutiai-je, effaré, mais,
que faites-vous ici ?
— Fini les vacances, frère, il est temps de
se remettre au travail, dit Gérard en riant et me serrant dans ses bras à son
tour.
— Nous sommes venus te tirer de cette vie
facile de moine gras et oisif.
Je me laissai tomber, encore tout étourdi, sur
une des banquettes et contemplai, béat d’admiration, mes frères d’armes avec
leurs manteaux noirs, leurs longues barbes sortant de leurs coiffes de mailles
et leurs épées bénies au côté. J’avais devant moi les deux chevaliers
hospitaliers les plus dignes et honorables de toute la chrétienté. Nous avions
livré tant de batailles ensemble sans crainte de la mort, parcouru tant de chemins,
consacré tant d’heures à l’étude et à l’entraînement. Nous avions servi tant de
fois côte à côte. Je n’avais pas réalisé jusqu’à maintenant à quel point ils
m’avaient manqué ni comme j’étais impatient de rentrer...
— Très bien, dis-je en me levant. Partons !
J’ai appris ici tout ce que je désirais apprendre !
— Halte-là ! Où crois-tu donc aller
comme ça ? s’écria Gérard.
Il m’arrêta brusquement, posant sa main gantée
sur ma poitrine.
— Mais vous venez de dire que je devais
rentrer !
— Mais pas à Rhodes, frère. Pas encore.
Je suppose que je dus prendre un air totalement
effaré.
— Ah ! non, alors là, pas
question ! me prévint Johannot. Par ma foi, je ne supporte pas de voir des
larmes dans les yeux d’un hospitalier.
— Ne dites pas de bêtises, frère ! Les
larmes seront dans vos vilains yeux dès que j’aurai repris mon épée... et la
force de la brandir, bien sûr.
— En effet, chevalier, ton aspect laisse
à...
— Taisez-vous tous les deux ! vociféra
Gérard, et toi Johannot, remets-lui les lettres !
— Les lettres... ? Quelles lettres ?
— Trois missives très importantes, frère
Galcerán : l’une du sénéchal de Rhodes auquel tu dois obéissance ;
l’autre du grand commandeur des hospitaliers en France sous les ordres duquel
tu vas passer ; et pour finir, une troisième de Sa Sainteté le pape Jean
XXII, que le Très-Haut protège, seul responsable de cet embrouillamini
épistolaire.
Je ne pus murmurer qu’un triste « Grands
dieux ! » avant de retomber brusquement sur le banc.
Les lettres étaient fort brèves. Celle du sénéchal
m’indiquait que je devais me mettre aux ordres du grand commandeur de France
avant la fin du mois de mai. Ce dernier m’informait à son tour que je devais me
présenter au siège pontifical d’Avignon avant le premier juin, et la dernière
contenait ma nomination comme légat pontifical, avec tous les droits et
honneurs attachés à cette fonction ; parmi eux, celui de choisir les
chevaux les plus
Weitere Kostenlose Bücher