Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Il neigeait

Il neigeait

Titel: Il neigeait Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
Vom Netzwerk:
domestiques, lui confiant le soin de remettre sa maison à un
officier pour éviter le saccage. Il en était de même dans la plupart des
grandes demeures abandonnées, que leurs propriétaires espéraient récupérer sans
dommages dès que les deux empereurs s’accorderaient. Il semblait évident que
les Français et leurs alliés ne pourraient s’éterniser dans la ville.
    — Voilà pourquoi, monsieur le général, je tombe à votre
service, disait le majordome.
    Le capitaine enfla le torse comme une volaille son bréchet,
sans corriger la flatterie, sans même songer à voir une trace d’ironie dans
cette phrase alambiquée. D’un coup d’œil aux rectangles clairs et inégaux sur
la tapisserie, il sut que les tableaux avaient été emportés, avec, sans doute,
les principaux objets de valeur. Il n’y avait pas grand-chose à piller dans
cette entrée, sinon un lustre encombrant et des tentures. Les cavaliers, dans
la pénombre, attendaient la permission d’inspecter l’office et les caves parce
qu’ils avaient le gosier bigrement sec, quand on entendit les hurlements des
chiens et des éclats de rire. Le capitaine ressortit sous la colonnade, le
majordome sur ses talons. Des chasseurs asticotaient les molosses à distance,
avec un tesson fixé au bout d’une pique ; les bêtes s’étranglaient à leurs
chaînes, cherchaient à mordre, ne trouvaient que le verre coupant, le brisaient
à pleines mâchoires, le sang dégoulinait de leurs babines, elles devenaient
folles, levaient les pattes.
    — Empêchez ces idiots ! gueulait d’Herbigny à un
maréchal des logis au visage grêlé.
    — Ils sont ronds comme des uhlans, mon capitaine !
    Et d’Herbigny criait en distribuant des coups du plat de son
sabre aux chasseurs hilares, pour qu’ils décampent, mais ils étaient très
saouls, et l’un d’eux, riant toujours, en tomba sur le derrière. Le majordome
tentait de calmer les dogues avec son fouet, leurs blessures à la gueule et
l’agitation les excitaient ; l’avenue se peuplait de troupes de la Garde
en quête d’alcool, de viande fraîche, de butin, de filles introuvables. Un
tambour-major en grande tenue dirigeait ses musiciens qui transportaient des
canapés. L’eau-de-vie coulait en ruisseau d’un magasin défoncé ; des
gendarmes en peloton, avec leurs bonnets à visière, sortaient des tonneaux
qu’ils roulaient vers une charrette à bras. Un autre, dont on remarquait le
baudrier jaune sous le poil d’ours d’une pelisse volée, tenait dans ses bras un
jambon, un gros vase, deux chandeliers en argent et un pot de fruits
confits ; mal tenu, le pot glisse, tombe, éclate sur le sol, le soldat
dérape sur les fruits confits, il s’étale ; des grenadiers ramassent
aussitôt le jambon et filent en courant sous les insultes. Le capitaine ne
pouvait pas intervenir pour interrompre ce déménagement brouillon. Il avait
même envie d’en avoir sa part. Comme il souriait à cette dernière idée, le
majordome, très anxieux, lui demanda :
    — Vous allez protéger notre hôtel, n’est-ce pas ?
    — Tu veux dire mon cantonnement, j’espère ?
    — C’est ça, votre maison et celle de vos cavaliers.
    — Soit, mais d’abord on visite de fond en comble. (Au
maréchal des logis :) Martinon ! Place des sentinelles à nos
portes.
    — Ça va pas être simple.
    Il désignait les dragons déjà éparpillés dans le
voisinage ; quelques-uns se passaient des tables, des fauteuils et des
flacons par les fenêtres d’un chalet de sapin badigeonné en vert pâle.
    — Quoi encore ? dit le capitaine, le sabre pendu
par sa dragonne au poignet gauche.
    Des spectres tout en cheveux et en barbes, les jambes
enveloppées dans des chiffons, arrivaient sur l’avenue ; ils tenaient des
fourches. D’Herbigny se tourna vers le majordome qui se tortillait les
doigts :
    — Et ceux-là, à votre avis ?
    — Oui…
    — Des forçats ? des fous ?
    — Un peu les deux.
     
    Dans les rues de Moscou, Sébastien Roque avait croisé de
pareils attroupements, que les gendarmes dégageaient à coups de crosse, mais en
passant par une rue plus rétrécie, un moujik au menton hérissé de poils noirs,
les yeux furibonds entre des mèches longues, s’approcha de la calèche où il
était assis et lui saisit avec force le bras. Masquelet et les passagers
essayèrent de faire lâcher prise à la brute en lui tapant sur la tête, des
gendarmes durent l’assommer, il bascula à la renverse,

Weitere Kostenlose Bücher