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Il neigeait

Il neigeait

Titel: Il neigeait Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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montants de lits ; il n’y avait qu’à se servir dans l’amas.
Sébastien avisa un petit bureau à cylindre qui serait bien pratique pour
prendre à la volée le courrier de l’Empereur, mais il fallait repousser une
armoire massive, dégager une voie entre des bahuts et des tabourets
enchevêtrés.
    — Moisis, ces coussins, constatait un valet navré.
    — Aidez-moi plutôt, demanda Sébastien.
    — Tenez ma torche, dit un grenadier, je m’en occupe de
vot’bureau.
    À l’instant où Sébastien prenait le flambeau et le dressait
à bout de bras, un homme se leva derrière un buffet de bois aux reflets
rouges ; l’apparition portait un casque de centurion romain et une toge
rejetée sur l’épaule. Ils s’arrêtèrent au milieu de leurs fouilles. L’un des
grognards sortit la baïonnette qu’il avait passée dans son ceinturon.
    — Ah ! Messieurs ! J’entends que vous êtes
français, dit l’apparition, et maintenant je distingue vos glorieux
uniformes !
    — Qui êtes-vous ? interrogea Sébastien.
    — Comment ? Qui je suis ? Je vous le concède,
votre éclairage est faible, mais tout de même !
    La lumière agitée des flambeaux modifiait ses expressions en
grimaces. Une main sur le cœur, le déguisé se mit à déclamer :
     
    Jusqu’à nos jours,
Athènes et Rome
    Doutaient de voir
paraître un homme
    Qui pût égaler
leurs succès.
    Maintenant elles
sont moins fières,
    En trouvant les
preuves contraires
    Dans le monarque
des Français…
     
    Ils étaient interloqués par l’exhibition, mais un grenadier,
plus illettré et peu sensible aux roucoulades, fronça les sourcils,
menaçant :
    — Réponds à Monsieur Roque ou j’te rosse !
    Le soldat commençait à escalader les meubles pour saisir le
cabotin, qui continuait :
    — Vous avez devant vous le grrrand Vialatoux, il a
porté aux confins de l’Empire nos auteurs, classiques ou moins
classiques ! Comédien, tragédien, chanteur, le théâtre, quoi, tous les
arts en un seul et unique !
    D’autres formes se levèrent derrière lui ; une voix
féminine, autoritaire et haut perchée, cria :
    — Bon sang de bon Dieu ! Vive l’Empereur !
    — Montrez un peu vos minois, ordonna le cuisinier qui
détestait les contretemps et n’avait toujours pas son fourneau d’appoint. Ils
étaient trois, cinq à se faufiler de meuble en meuble jusqu’à la terre battue
de la grande cave, un garçon fluet qui pressait contre lui une armure du Moyen
Âge en fer-blanc, le Romain exagéré, une femme de quarante ans ou plus, assez
bossue, Madame Aurore, la directrice de cette troupe ambulante :
    — Heureusement, dit-elle, que vous n’avez pas tardé,
nous n’en pouvions plus dans cette abominable cachette ! Regardez ce que
nous avons pu sauver, l’armure de Jeanne d’Arc, le casque de Brutus et la toge
de César, rien d’autre, rien !
    — Pourquoi êtes-vous dans ce palais ? demanda
Sébastien en ouvrant des yeux ronds.
    — Nous répétions depuis une semaine la fantaisie
historique composée par Madame Aurore pour le comte Rostopchine, dit Vialatoux.
Il nous avait prêté une salle au Kremlin, et puis les événements nous ont
empêchés au milieu du troisième acte.
    — Comment cela ?
    — Effrayant, reprit le garçon à l’armure. Une
débandade, la peur, nous devions nous mettre à l’abri, impossible de regagner
la maison que nous louons à un commerçant italien après le bazar, du monde
partout, la folie, des pleurs, des plaintes…
    — Et ensuite ? demanda encore Sébastien.
    — Nous avons dû nous terrer ici même, expliqua le grand
Vialatoux en remontant la toge qui glissait de son épaule. Trop dangereux,
dehors, pour des Français.
    — Vous n’avez rien senti venir ?
    — Rien que notre texte, dit Madame Aurore, offusquée
par l’incongruité de la question.
    — Comment est-ce possible ? s’étonna Sébastien.
    — L’art nous suffit, jeune homme, jeta Vialatoux.
    — Nous n’avons vu que nos rôles, murmura une jeune
fille en retrait. C’est très prenant, de jouer, vous savez.
    — Je ne sais pas, dit Sébastien en essayant de la mieux
voir dans l’ombre. Tout de même ! C’est la guerre.
    — Nous étions concentrés sur la pièce.
    Sébastien tenait toujours le flambeau. Il éclaira mieux
cette ingénue dont la voix le prenait. Il eut le souffle court en détaillant de
la tête aux pieds la comédienne. Mademoiselle Ornella était une brune à cheveux
bouclés, aux

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