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Il neigeait

Il neigeait

Titel: Il neigeait Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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meublés, à chacun de se
débrouiller.
    Ils connaissaient le refrain, dormaient souvent par terre, à
la belle étoile ou dans des escaliers, des antichambres, des granges, n’importe
où et tout habillés, prêts à répondre sans délai.
    — Les cuisines ?
    — Au sous-sol, je crois.
    — L’Empereur déteste souper froid, râlait le cuisinier,
alors, si je dois monter trois étages et parcourir trois lieues de couloirs, la
fricassée, il me la jette à la figure !
    — Vous trouverez une solution, monsieur Masquelet, le
tsar Alexandre non plus ne mange pas des plats froids.
    Et chacun de s’activer. Sébastien s’enquérait d’une table,
Masquelet d’un fourneau ; un malin ramenait des peaux de loup, achetées à
un brigadier, pour s’improviser un lit sur le parquet ; un valet, aux
ordres de Bausset, décrochait les portraits du Tsar et de sa famille qui
indisposeraient l’Empereur. Un petit groupe silencieux, sur la terrasse,
parcourait des yeux la ville et les statues en marbre blanc du palais Pascoff,
contre les remparts.
    — Il y a tout un empilement de meubles dans les caves,
dit un valet à l’intendant, je le tiens d’un grenadier.
    — Eh bien qu’attendez-vous ? dit Bausset.
    — Vous venez ? proposa Masquelet à Sébastien. En
bas, sûr que vous la dégoterez, votre table.
    Au long des corridors qu’ils arpentaient d’un bon pas pour
ne point perdre de temps, Roque, le cuisinier et des laquais constitués en
expédition embarquèrent quelques grenadiers qui montaient la garde devant des
pièces vidées, ou jouaient aux cartes sur un tambour. Le plus moustachu avait
posé son bonnet à poil sur le crâne d’une déesse en plâtre descendue de son
socle, et il tripotait la statue : « Ma solde à qui m’débusque une
vraie Russe ! » La présence de ces grognards armés qui avaient cent
fois connu l’enfer apaisait Sébastien, mais où donc s’ouvraient les
caves ? Ils dévalèrent un escalier d’honneur, tournèrent et retournèrent
dans des salons déserts, des couloirs, poussèrent des portes, interrogèrent
d’autres soldats qui ne savaient rien, finirent par trouver un nouvel escalier
en pierres usées, plus étroit, plus vulgaire, pour aboutir à des salles
démesurées, voûtées comme des chapelles, si obscures qu’un des grenadiers
remonta chercher des flambeaux. On l’attendit. Les murs et le sol avaient une
odeur mouillée. Avec un premier flambeau ils en allumèrent plusieurs et
poussèrent loin l’exploration. Des ouvertures se découpaient en noir dans les
parois, ils s’y risquaient, quitte à perdre le chemin du retour. Les torches
fumaient et piquaient les yeux, leurs silhouettes déformées s’allongeaient sur
les piliers et les voûtes, léchaient les plafonds ; à cause de son manteau
à collets, l’ombre de Sébastien ressemblait à celle d’un vampire (seul dans
cette situation, il aurait eu peur de lui-même).
    — Y’a quéqu’chose au fond, dit un grenadier.
    — Des caisses…
    — Éclairez-nous mais un peu à distance, commanda
Masquelet. Si c’était des munitions, hein ? Vous ! Venez nous ouvrir
ça avec votre baïonnette.
    Le couvercle d’une caisse sauta dans un bruit de bois brisé,
on l’ouvrit, le cuisinier plongea courageusement la main et en ressortit une
poignée de poudre :
    — Tenez haut votre torche, là, au-dessus de ma paume,
qu’on voie à quoi ça ressemble…
    — Pas la peine, répondit le grenadier, ça se sent.
    — Je ne sens rien, moi.
    — Vous avez pas d’nez, monsieur. C’est du tabac râpé.
    — Tiens donc ! dit un laquais en approchant.
    — Vous avez raison, convint le cuisinier, et il s’en
fourra une prise dans les narines, ce qui le fit éternuer et vaciller la
lumière de la torche.
    Il y avait une montagne de caisses semblables ; pour
continuer, Roque et Masquelet durent presser les grenadiers et les laquais
parce qu’ils bourraient leurs poches de tabac. Ensuite ils virent un
amoncellement de ballots et des rangs de tonneaux ; les premiers
contenaient de la laine, les seconds de l’anis étoilé qui dégoûta le
cuisinier :
    — Je ne pourrais rien en faire, moi, de ces épices,
c’est bon pour leurs plats de barbares ! Si je lui mijotais ses macaronis
à l’anis, Sa Majesté serait furieuse !
    — Ah bien, vos meubles sont par ici, intervint un
grenadier, aventuré dans une salle mitoyenne.
    Les flambeaux éclairaient une accumulation de commodes,
fauteuils,

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