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Il neigeait

Il neigeait

Titel: Il neigeait Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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seul l’intérêt poussait. J’ai secondé Barras pour user de
son pouvoir et asseoir le mien.
    — Vous auriez servi la monarchie ?
    — Vous voulez que je vous dise qui, en réalité, a tué
le roi ? Ce sont les émigrés, les courtisans, la noblesse. On ne s’exile
pas. S’ils avaient créé une vraie résistance sur le sol de la nation, j’aurais
été de leur bord.
    — Vous les avez ensuite accueillis à votre Cour…
    — Mon devoir était de rallier. Il faut confondre toutes
les opinions et se servir des hommes les plus opposés. C’est donner la preuve
que le gouvernement est fort.
    — Combien, dans l’adversité, vous resteraient
fidèles ?
    — J’ai peu d’estime pour les hommes, vous le savez,
mais ai-je tort, monsieur le duc ? Je n’ai aucune illusion sur leur
comportement. Aucune. Tant que j’entretiens leurs ambitions et leurs caisses,
ils courberont la tête.
     
    L’Empereur et ses compagnons de voyage se méfiaient de
possibles embuscades, mais les cinq jours qui suivirent, ils ne connurent que
des ennuis mécaniques et des contrariétés dues à la lenteur des maîtres de
poste. À Dresde, ils avaient laissé le traîneau rouge qui se déclouait pour
accepter une voiture montée sur patins que leur proposa le roi de Saxe,
réveillé à quatre heures du matin, accouru en chaise à porteurs sans prévenir
son entourage. Faute de neige, ce nouveau traîneau fut à son tour remplacé par
une calèche du courrier, puis par un landau, celui, précisément, qui attendait
des chevaux frais dans un relais, entre Erfurt et Francfort, où l’on ne se
pressait guère. Napoléon restait assis dans le landau :
    — Caulaincourt, c’est exaspérant ! Ils les
attellent, ces chevaux ?
    — Je les ai commandés, sire, dit le grand écuyer.
    — Et que vous répond cet abruti de maître de
poste ?
    — Il me dit tout à l’heure, tout à l’heure.
    —  Il n’en a pas dans son écurie ?
    — Il prétend que non. Nous attendons des chevaux de
réquisition.
    — Nous devons partir avant la nuit !
    — Ce serait préférable, sire. La route est mauvaise,
dans les forêts.
    — Aidez-moi à descendre, imbécile de duc, je me gèle.
    L’Empereur alla jusqu’à la maison du maître de poste,
furieux du retard. Une fois dedans, il s’apaisa. Dans le salon, une femme
jouait une sonate au clavecin. Elle ne parlait pas un mot de français, Napoléon
pas un mot d’allemand. Il la trouvait ravissante et elle jouait avec une
légèreté inattendue dans un pareil endroit.
    — Caulaincourt !
    — Sire ? dit le grand écuyer qui arrivait en
courant.
    — Vous qui parlez leur langue, demandez du café et
activez ces mollassons !
    Caulaincourt rencontra Sébastien et l’interprète au milieu
de la cour que fermaient les bâtiments d’habitation, les remises et les
écuries.
    — Monsieur le duc, lui dit Sébastien, fébrile, ils ont
bouclé le grand portail comme pour nous retenir.
    — Ils auraient reconnu Sa Majesté ?
    — Pourquoi nous retarder ?
    — S’ils avaient prévenu des partisans allemands, qui
montent un guet-apens sur notre route, dans les défilés avant Francfort ?
    — À moins qu’ils n’aient l’habitude de détrousser les
voyageurs…
    — J’ai parlé à l’un de leurs postillons, dit
l’interprète. Personne n’a relayé ici depuis plus de trente-six heures.
    — En bonne logique, ils devraient donc disposer de
chevaux.
    Caulaincourt distribua ses instructions. Le comte polonais
irait au village pour en ramener une escouade de gendarmes français qui
tenaient des postes dans le pays. Qu’il confie l’un des pistolets de Sa Majesté
à Monsieur Roque et se hâte sur l’un des chevaux dételés : le village
n’était pas loin, il devait y parvenir sans encombre, même avec une monture
fatiguée. Où était le piqueur ? Épuisé, il ronflait sur le siège du
landau. Sébastien le réveilla pour qu’avec Roustan ils tiennent le portail
grand ouvert.
    — Les écuries sont de ce côté, monsieur le duc, dit
Sébastien en tenant le pistolet pointé vers le sol.
    Dedans, ils perçurent des chuchotis, des piétinements de
sabots. Caulaincourt frappa du poing et demanda en allemand :
    —  Mach auf ! Ouvre-moi !
    Trompé par cet accent et cette fermeté, croyant avoir
entendu l’un de ses compères du relais, un postillon se montre. Sébastien et le
grand écuyer le poussent et pénètrent dans l’écurie. Dix chevaux

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