Il neigeait
m’avaient
vanté vos mérites sont des ânes.
Caulaincourt poussa Sébastien dans la pièce voisine,
laissant l’Empereur à sa colère et l’ambassadeur à son embarras. Puis le grand
écuyer dicta du courrier pour Bassano qu’il croyait encore à Vilna, mais
Sébastien ne perdit rien de la bordée d’insultes venue du salon. Plus l’abbé de
Pradt se justifiait, plus l’Empereur glapissait.
— Caulaincourt !
Le grand écuyer quitta Sébastien et son courrier, il revint
aussitôt en jetant un bristol sur la table du secrétaire, qui put lire :
« Délivrez-moi de ce faquin ! » Derrière la porte, la dispute
continuait :
— Sans argent, disait l’abbé, il m’est impossible de
lever la moindre troupe dans le grand-duché.
— Nous nous battons pour les Polonais, et eux, que
font-ils ?
— Ils n’ont plus un écu, sire.
— Ils préfèrent devenir russes ?
— Ou prussiens, sire…
Pour délivrer l’Empereur, Caulaincourt lui annonça que son
repas allait refroidir. Peu après, la porte de l’appartement se referma. L’abbé
était parti. Récriminant à chaque instant contre la nullité de son ambassadeur
à Varsovie, l’Empereur dîna. Il s’assura que le traîneau de Roustan les avait
rejoints, questionna Caulaincourt sur la route qu’ils devaient prendre.
Celui-ci avait rapporté une carte de l’ambassade et, du doigt, désignait les étapes :
— Nous allons vers Kutno.
— Dites-moi, le château de la comtesse Walewska
n’est-il pas dans cette région ?
— En effet, sire.
— Cela nous obligerait à un détour ?
— N’y pensez pas, sire, nous devons arriver le plus
vite possible aux Tuileries, et puis, qui nous dit que la comtesse n’est pas à
Paris ?
— Oublions. J’ai hâte de revoir l’impératrice et le roi
de Rome. Vous avez raison.
L’Empereur s’était facilement résigné ; Caulaincourt
avait de bons arguments. N’empêche, il aurait aimé saluer sa maîtresse et
embrasser le fils qu’il avait eu d’elle. Caulaincourt reprit ses
explications :
— Ensuite, avant Dresde, nous traversons la Silésie.
— En Prusse ? Nous y sommes obligés ?
— Oui, sur une courte distance.
— Si les Prussiens nous arrêtent ?
— Ce serait un vilain hasard, sire.
— Que nous feraient-ils ? Ils exigeraient une
rançon ?
— Ou pire.
— Ils nous tueraient ?
— Pire encore.
— Ils nous livreraient aux Anglais ?
— Pourquoi pas, sire ?
L’Empereur, à cette idée, loin de frémir, fut pris d’un
violent fou rire qui lui remua les épaules :
— Ah ah ah, Caulaincourt ! J’imagine votre tête, à
Londres, dans une cage de fer ! On vous enduirait de miel et on vous
livrerait aux mouches, ah ah ah !
Ils repartirent dans ce traîneau rouge dont les vitres mal
jointes laissaient passer des courants d’air glacial. Sébastien se croyait tout
de même revenu dans des contrées civilisées. Il avait le ventre plein, il avait
pu faire sa toilette et revêtir des habits neufs ; surtout, il évitait de
s’endormir pour noter dans sa mémoire les paroles de l’Empereur :
— Avant trois mois, j’aurai cinq cent mille hommes sous
les armes.
— Les mauvais esprits, sire, diront qu’il y aura cinq
cent mille veuves…
— Laissez dire, monsieur le duc. Si les Européens comprenaient
que j’agis pour leur bien, je n’aurais pas besoin d’armée. Croyez-vous que la
guerre m’amuse ? Que je n’ai pas mérité le repos ? Quant aux
souverains, ils sont bornés. Enfin, j’ai assez montré que je veux fermer la
porte aux révolutions ! Ils me doivent d’avoir arrêté le torrent de
l’esprit révolutionnaire qui menaçait leurs trônes. J’ai détesté la Révolution.
— Parce qu’elle a tué un roi ?
— Le fameux 13 vendémiaire, Caulaincourt, j’ai
hésité. Oh, je m’en souviens, je sortais du théâtre Feydeau, j’avais assisté à
un mélodrame, Le Bon Fils ; le tocsin sonnait dans Paris. J’étais
prêt à chasser la Convention des Tuileries, mais qui aurais-je dû
commander ? Une armée de muscadins, d’étudiants et de limonadiers
qu’encadraient des chouans. Dans les sections royalistes, ils portaient leurs
fusils comme des parapluies ! Et puis il s’est mis à pleuvoir, l’averse a
égaillé les émeutiers, ils sont partis s’abriter dans un couvent pour discuter…
J’ai donc choisi le Directoire à contrecœur, ce soir-là, le Directoire, ce nid
de fripouilles que
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