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Il neigeait

Il neigeait

Titel: Il neigeait Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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moins
accidentée, pensait le capitaine, cela valait bien une marche de plus, hélas
ils avaient suivi le gros du cortège, désireux de parvenir à Kovno et au Niémen
par le chemin le plus court. Maintenant ils devaient finir la route à pied,
s’ils arrivaient à fuir. Les cosaques ne bougeaient pas, devant l’obstacle des
voitures imbriquées. Ils n’avaient pas l’intention de charger dans ce chaos.
Ils plantaient leurs lances dans la neige et dégringolaient de leurs selles.
Les voilà. Ils s’insinuent entre les calèches et les fourgons, passent
par-dessus ou en dessous, contournent, s’infiltrent, butent sur les chariots du
Trésor. D’Herbigny se retrouve nez à nez avec un gros cosaque. Il a un bonnet
de fourrure blanche qu’il porte en arrière à la manière des Tchétchènes, un
sabre large et courbé qu’il ne tire pas de sa bandoulière. Le capitaine cherche
une latte de tonneau pour parer les coups, car l’autre brandit une hachette. Un
baril les sépare. La hachette retombe et fend le couvercle. Les soldats
n’intéressent pas les cosaques, mais l’or, seulement l’or, ils plongent les
bras dans les barils ouverts, prennent des pièces à deux mains, en renversent,
ne daignent pas ramasser les louis dans la neige, roulent de leur côté d’autres
tonneaux, se servent. Des flocons commencent à tomber comme pour confondre les
vainqueurs et les vaincus. Le capitaine n’avait jamais vu un cosaque de si près
mais c’était le moment de filer. Lorsqu’ils seraient rassasiés, ces brigands
n’allaient-ils pas les tuer ou les capturer ? Le gros cosaque en bonnet
blanc leva les bras au ciel, il ouvrit les mains, laissa dégouliner une douche
de pièces. Il avait un rire fracassant.
     
    Ce même jour, l’Empereur était à Varsovie. Il avait choisi
d’occuper un rez-de-chaussée bas de plafond, au bout d’une cour de l’Hôtel
d’Angleterre, rue des Saules. Sous le nom de Rayneval, il se faisait passer
pour le secrétaire de son grand écuyer. Les volets étaient entrebâillés. Une
servante polonaise tentait d’allumer un feu de bois vert qui ne prenait pas. La
pièce principale était si mal chauffée que Napoléon n’avait pas ôté sa
houppelande ; il marchait pour se dégourdir les jambes.
    — Caulaincourt !
    — Sire, dit Sébastien en entrant.
    — Je ne vous ai pas appelé ! Où reste
Caulaincourt ?
    — Monsieur le duc de Vicence est parti à notre
ambassade pour en ramener Monsieur de Pradt.
    — Ce cafard de Pradt ! Je vais lui décrocher les
oreilles, à cet incapable ! Ambassadeur ? Tu parles !
    Sébastien s’interrogeait sur ce monarque qu’il fréquentait
dans son intimité. Il ne parvenait pas à déterminer ce que cachait son terrible
caractère. Était-il insensible ou ferme ? S’il se montrait trop bon,
n’abuserait-on pas de lui ? Au dernier relais avant Varsovie, Sébastien
avait assisté à une scène privée où la sincérité de Sa Majesté ne pouvait être
mise en doute. Comme à l’Hôtel d’Angleterre, une jeune servante allumait du feu
pour la soupe et le café, chez le maître de poste, tandis qu’on changeait les
chevaux du traîneau. L’Empereur, enfoncé dans un divan, s’était apitoyé sur la
gamine court vêtue, il avait ordonné à Caulaincourt de lui offrir une brassée
de pièces pour qu’elle s’achète des vêtements chauds, et dans le traîneau,
pendant le trajet, il s’était un peu dévoilé. Sébastien venait justement de
transcrire ses propos de mémoire, dans la pièce voisine : « Eh oui,
Caulaincourt, quoi qu’on pense j’ai des entrailles et un cœur, mais un cœur de
souverain. Si les larmes d’une duchesse me laissent de marbre, les maux des
peuples m’affligent. Quand la paix s’installera, quand l’Angleterre pliera, je
m’occuperai de la France. Nous y voyagerons quatre mois par an, je visiterai
les chaumières et les fabriques, je verrai de mes yeux l’état des routes, des
canaux, des industries, des fermes, je m’inviterai chez mes sujets pour les
écouter. Tout reste à créer, mais l’aisance sera partout si je règne encore dix
ans, alors on me bénira autant qu’on me hait aujourd’hui… »
    L’abbé de Pradt arriva dans l’appartement, sa petite bouche
en cul-de-poule, un front large et haut, peu de menton :
    — Ah ! sire ! Vous m’avez donné bien de
l’inquiétude mais je suis aise de vous voir en parfaite santé !
    — Gardez vos compliments, Pradt. Ceux qui

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