Il suffit d'un Amour Tome 2
sourire.
Euh... passionnant est beaucoup dire ! Intéressant, je vous l'accorde. Alors voilà... Tout en parlant, Jean de Saint-Rémy s'était levé. Dépliant sa longue et mince personne, il s'était figé devant Catherine en une sorte de garde-à-vous... Voilà : je m'appelle Jean Lefebvre de Saint-Rémy. J'ai trente- deux ans, je suis riche, en bonne santé, bien pourvu de terre, très suffisamment noble... et je vous aime autant qu'il est possible à un Saint-Rémy d'aimer.
Voulez-vous m'épouser ? Vous êtes vous-même veuve, donc libre.
— ... et sans emploi d'ici quelque temps ? acheva Catherine avec un sourire moqueur. Mon petit Jean, vous êtes un amour et je vous suis plus reconnaissante que je ne saurais dire de cette demande. Vous vous êtes dit : elle va se trouver seule, je lui offre mon nom, une position sérieuse, un mari honorable... C'est bien cela, n'est-ce pas ? J'ai toujours su que vous étiez mon ami...
— Que me parlez-vous d'amitié quand je me tue à vous crier que je vous aime ?...
— C'est bien pour cela que je ne vous épouserai pas. Vous seriez trop malheureux, puisque vous m'aimez. Il ne serait pas honnête à moi de ne vous donner que ma main. Et je ne peux que vous aimer... bien. Ce n'est pas assez !
Une expression de chagrin sincère se peignit sur le visage candide du jeune homme. Même son éblouissant plumage parut s'éteindre, devenir terne.
— Je vous aime assez pour m'en contenter, fit-il d'une voix enrouée. Bien sûr, je n'ai pas la prétention de remplacer le duc Philippe. Vous l'aimez et...
Catherine coupa brutalement :
— Vous savez très bien que non ! Vous êtes assez mon ami pour cela. En fait, je n'ai jamais réussi à mettre un nom satisfaisant sur le sentiment que j'ai pour lui. Je crains que... ce ne soit assez terre à terre ! Je ne peux plus aimer, Jean, même si je le voulais... et cela aussi vous le savez très bien !
Un silence tomba. Au-dehors, la nuit s'étendait, envahissant peu à peu la grande pièce dont les solives peintes, déjà, se perdaient dans l'ombre. Il n'y avait plus que la zone de lumière créée par le feu sur lequel la silhouette de Catherine se découpait à contre-jour. Saint-Rémy recula dans l'ombre. Il avait l'impression qu'un fantôme venait de se glisser entre lui et cette femme merveilleuse qu'il ne parvenait jamais à approcher réellement. Le jeune homme n'avait pas oublié la joute sous les murs d'Arras, le chevalier aux armes royales qui avait eu le pouvoir d'émouvoir jusqu'à la folie l'insaisissable jeune femme. Presque malgré lui, il murmura :
— Je comprends ! C'est l'autre, n'est-ce pas ? Après tant d'années, vous n'avez pas encore pu oublier Mont...
— Taisez-vous ! coupa Catherine sèchement. Je ne veux pas entendre son nom !
Elle tremblait soudain comme une feuille et Saint- Rémy vit une telle détresse se lever dans les grands yeux violets qu'il fut pris de pitié. Mais déjà la colère de Catherine tombait.
— Pardonnez-moi ! murmura-t-elle sourdement. Je suis nerveuse... Il vaut mieux me laisser, maintenant, mon ami. Vous venez à moi avec des mots d'amour et je ne sais vous dire que des sottises ! Revenez bientôt...
Elle lui tendait une main glacée sur laquelle le jeune homme posa légèrement ses lèvres. Il semblait si inquiet, si désorienté, qu'elle lui sourit gentiment, pour le consoler, émue que ce garçon futile et insouciant pût souffrir vraiment à cause d'elle.
— Revenez un autre jour, reprit-elle, quand je serai moins nerveuse.
Vous pourrez même me répéter que vous m'aimez.
— Et vous redemander votre main ?
— Pourquoi pas... si vous ne craignez pas les refus. Bonsoir, mon ami.
Quand il fut parti, Catherine poussa un soupir de soulagement. Enfin, elle était seule ! L'ombre qui avait envahi la grande pièce lui était douce. Elle s'approcha d'une haute fenêtre en amande, ouvrit l'une des vitres armoriées où s'inscrivait le blason qu'elle s'était choisi : une chimère bleue sur champ d'argent sommée d'une couronne de comtesse. L'air vif et chargé d'humidité du dehors lui sauta au visage, fit voltiger ses cheveux dénoués. En bas, l'eau noire du canal coulait, reflétant comme un miroir sombre les lumières des maisons voisines avant de s'engouffrer sous l'arche de pierre d'un petit pont.
Le vent se levait, faisant voler les feuilles. Sur le rempart proche, une sentinelle cria, dominant un faible son de luth venu d'un hôtel, de l'autre côté de l'eau.
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