Il suffit d'un Amour Tome 2
chef de l'escorte que lui avait donnée Philippe de Bourgogne, un jeune lieutenant à la barbe naissante que le moindre de ses regards faisait rougir, elle lui ordonna de faire sonner du cor pour annoncer leur approche. Elle se sentait fébrile, inquiète. L'atmosphère sinistre qui enveloppait ce village des hauts plateaux de la Marne agissait sur elle.
Le jeune chef d'escorte s'exécuta. Un homme d'armes se détacha, emboucha le cor pendu à sa ceinture. Un son prolongé, mugissant, perça la brume, monta jusqu'au chemin de ronde où, au troisième appel, une tête casquée apparut. Dans son épaisse cape trempée d'eau, Catherine frissonna, chercha instinctivement le regard de Sara qui se tenait un peu en arrière. Ce voyage lui avait paru interminable. Plusieurs fois, il avait fallu en découdre contre les bandes de routiers errants ou, simplement, contre des troupes de paysans affamés, chassés de leurs villages détruits et qui avaient pris le maquis pour survivre, se transformant peu à peu en brigands d'autant plus cruels que la faim les poussait plus que l'appât du gain. En ces circonstances, Catherine avait regretté que Jacques de Roussay, son escorteur habituel, fût immobilisé par une jambe brisée dans un tournoi. Le jeune soldat chargé de le remplacer n'était visiblement pas à la hauteur de sa tâche. Sa responsabilité l'écrasait et il s'affolait trop aisément. Mais ce fut d'une voix assez vigoureuse qu'il réclama l'ouverture des portes pour la comtesse de Brazey.
— On vient ! cria quelqu'un du haut d'une tour.
L'attente parut interminable à Catherine. Campée sur son cheval blanc qui, aussi impatient qu'elle- même, grattait la terre humide de son sabot, elle gardait les yeux rivés sur le gigantesque panneau de bois du pont-levis.
Enfin, il s'abaissa lentement dans un affreux grincement, révélant l'ogive haute de la porte sommée de l'écusson de pierre des seigneurs du domaine.
À travers la herse que l'on levait en même temps, on pouvait apercevoir les archers qui accouraient, traînant leurs armes, ajustant leurs casques. Le pont s'immobilisa et, bientôt, ses planches énormes résonnèrent sous les sabots des chevaux. Catherine, la première, franchit la porterie, déboucha dans la cour au centre de laquelle fusait la masse formidable du donjon, dédaigna l'entrée de la tour féodale et se dirigea vers le corps de logis aux élégantes fenêtres flamboyantes. Au seuil une femme vêtue de noir de la tête aux pieds venait d'apparaître et attendait. C'était peut-être parce que cette femme se tenait courbée et s'appuyait sur une canne que Catherine ne reconnut pas tout de suite Ermengarde...
Tout en se laissant glisser de son cheval devant les quelques marches du seuil, la jeune femme ne pouvait détacher son regard de cette silhouette noire, qui, lentement, s'avançait vers elle. La plantureuse Ermengarde avait tellement maigri qu'elle flottait dans sa robe de velours noir. Sous des cheveux devenus tout blancs, elle montrait un visage décoloré, des yeux rougis aux paupières gonflées. Catherine courut vers son amie, la saisit aux épaules, épouvantée de ce qu'elle voyait, et plus encore de ce qu'elle devinait.
— Ermengarde ! Mon Dieu... Mais qu'y a-t-il ? Philippe ?
Avec un sourd gémissement, la vieille dame s'abattit dans les bras de Catherine et se mit à sangloter douloureusement sur son épaule. Le désespoir de cette femme si forte assomma la jeune femme qui comprit, en un éclair, que ses pires craintes informulées s'étaient réalisées.
— Ah ! fit-elle seulement, il est...
Elle n'acheva pas. Le mot, trop affreux, refusait de franchir ses lèvres.
Ermengarde secoua seulement la tête, affirmativement... Au bas des marches, Sara et les soldats, pétrifiés, regardaient ces deux femmes qui pleuraient dans les bras l'une de l'autre. Car le cœur gonflé de Catherine venait de crever en sanglots convulsifs qui la secouaient tout entière. Sara, figée d'abord par la brutalité de l'événement, se hâta de descendre de son cheval, courut vers les deux femmes et les sépara doucement. Puis, les entourant chacune d'un bras, elle les entraîna à l'intérieur du logis.
— Venez... Ne restez pas là. Il fait froid et humide...
Dans le château un profond silence régnait. Les serviteurs vêtus de noir glissaient comme des ombres, sans oser relever la tête. Depuis que, la veille, le petit Philippe avait cessé de vivre, la douleur d'Ermengarde avait
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