Il suffit d'un Amour Tome 2
vie... Un affreux regret tordit le cœur de la jeune femme pour tout ce temps où l'enfant lui avait échappé.
Folle qu'elle avait été de se priver de lui et de le priver d'elle ! Maintenant, la mort le lui prenait à tout jamais... Avec amertume, elle se reprocha son éloignement, son indifférence... Les liens de chair sur le point de se déchirer lui faisaient mal, si mal tout à coup ! Elle eût voulu prendre dans ses bras le petit corps inerte, le réchauffer de sa propre vie... À cet instant, elle eût donné sa vie pour que le petit Philippe ouvrît les yeux, lui sourît. Mais c'était à Ermengarde qu'il avait dû sourire pour la dernière fois.
Courbée sous le poids d'un chagrin dont elle prenait une conscience aiguë, Catherine enfouit son visage dans ses mains et pleura longtemps aux pieds de son enfant mort. Sur sa couche somptueuse et dérisoire, le petit garçon semblait déjà appartenir à un autre monde.
Toute la nuit suivante, oubliant les fatigues de sa longue route, Catherine demeura en prières dans la chapelle. Ni les douces remontrances de Sara et d'Ermengarde, ni les conseils du chapelain que sa pâleur inquiétait ne purent l'arracher de l'enfant.
— Je veux rester avec lui aussi longtemps que je pourrai, répondait-elle.
J'ai tant de regrets de ces années où je m'en suis trop peu souciée !...
Comprenant ce qui se passait dans le cœur de Catherine, Ermengarde n'insista pas. Elle aussi demeura toute la nuit. Quand revint le jour, les funérailles de l'enfant furent célébrées en grande pompe, devant tout le village assemblé en habits de deuil. Puis, quand le caveau des seigneurs de Châteauvillain eut laissé retomber sa pierre sur le corps léger du petit bâtard ducal, Catherine et Ermengarde se retrouvèrent face à face... deux femmes en deuil qui partageaient la même blessure. Elles avaient, d'un accord tacite, refusé de souper et s'étaient retirées dans la chambre de la comtesse. Assises chacune clans un haut siège de chêne sculpté, dans leurs voiles noirs qui les appareillaient étrangement, elles restèrent un long moment sans parler, immobiles de chaque côté de la cheminée, les yeux fixés sur les flammes.
On eût dit la mère et la fille unies dans la même douleur mais aucune n'osait troubler le silence, craignant que la moindre parole fît mal à sa compagne...
Ce fut Ermengarde, pourtant, qui se ressaisit la première. Elle tourna les yeux vers Catherine.
— Et maintenant ? dit-elle tout bas.
Comme si ces deux petits mots avaient brisé le charme malfaisant qui l'emmurait de silence, Catherine se leva soudain, puis, avec un gémissement, vint s'écrouler auprès de sa vieille amie, enfouissant son visage dans les plis noirs de sa robe sur laquelle ses mains se crispèrent.
— Je n'ai plus rien, Ermengarde, sanglota-t-elle, plus de mari, plus d'enfant, plus d'amour !... Je n'ai plus que vous ! Gardez-moi... laissez-moi rester auprès de vous. Il n'y a plus rien dans ma vie... rien ! Je veux demeurer désormais entre vous et le tombeau de mon enfant. Laissez-moi rester ici...
Ermengarde ôta la haute coiffure de mousseline noire qui s'écrasait contre son giron et se mit à caresser les nattes blondes de la jeune femme éperdue.
Un très léger et très doux sourire vint détendre son visage ravagé par le chagrin.
— Bien sûr vous pouvez rester, Catherine... et même je ne demanderais qu'à vous garder pour toujours. Vous savez bien que je vous aime comme si vous étiez ma fille. Mais c'est vous qui, un jour, partirez. Car vous n'en êtes pas encore, et de loin, au point où j'en suis : mûre pour la claustration au fond d'une vieille forteresse.
La neige fit son apparition trois jours après les funérailles du petit Philippe, tombant en telle abondance que la vie active du gros bourg de Châteauvillain s'en trouva gênée. Quant au château, sur le donjon duquel la bannière rouge avait rejoint la bannière noire, il parut s'endormir dans sa solitude hautaine, autour de la vie ralentie, quasi végétative, des deux femmes en deuil. Chaque matin, elles entendaient la messe dans la chapelle puis se retiraient dans l'une des chambres et, tout le jour, s'y occupaient à des travaux d'aiguille. Un jour par semaine seulement, le mardi, quelques paysans escaladaient la butte seigneuriale pour venir se confier à la justice du suzerain. Ermengarde, alors, gagnait le banc seigneurial, dans la grande salle et, durant de longues heures, débattait
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