Il suffit d'un Amour Tome 2
gorge du capitaine, brisant sa voix qui s'enroua.
— Vous ne savez pas ce qu'il était, mon frère Michel, continua-t-il d'un ton de douleur qui bouleversa Catherine. L'archange saint Michel n'était pas plus beau que lui, ni plus vaillant, ni plus courtois. Pour le gamin émerveillé que j'étais alors, une espèce de petit paysan toujours crasseux, toujours couvert de poussière, il était plus qu'un frère : l'image pure, lumineuse de tout ce que j'admirais, de tout ce que j'aimais : il était la chevalerie, la foi, la jeunesse, l'honneur même de notre maison. Quand je le voyais passer dans le village, sur son grand cheval blanc, avec ses cheveux que le soleil faisait briller, je sentais tout mon cœur bondir vers lui. Je l'aimais, je crois bien, plus que tout au monde. Il était... il était Michel, c'est-à-dire l'unique. Vous ne pouvez pas comprendre...
— Mais si..., fit Catherine doucement. Je l'ai vu, je...
Ces simples petits mots, si innocents, suffirent à déchaîner la fureur d'Arnaud. Ses deux poings crispés appliquèrent Catherine contre la muraille tandis qu'il avançait sur elle un visage tordu de colère.
Qu'avez-vous vu ? Ce que les vôtres en ont fait ? Une loque humaine, sanglante, sur laquelle vos bouchers se sont acharnés. Il avait cherché refuge dans la cave d'un de vos maudits Legoix et on l'a livré, assassiné, dépecé...
Ah, tu l'as vu, dis-tu ? As-tu vu aussi l'atroce chose qu'avec l'un de mes oncles je suis allé dépendre, en secret, la nuit, à Montfaucon ? Un corps sans tête que l'on avait pendu par les aisselles à des chaînes rouillées. La tête, elle, était dans un sac de cuir pendu à côté... une tête, cette abominable bouillie noire ! Et tu viens me parler de ton amour !... Et tu ne comprends pas que, quand tu prononces ce mot-là, j'ai envie de t'étrangler ! Si tu n'étais pas une femme, il y a longtemps que je t'aurais tuée...
— Si vous n'y êtes pas parvenu, ce n'est pas votre faute, s'écria Catherine en qui les images évoquées venaient de réveiller le souvenir des heures affreuses vécues jadis. Vous avez tout fait pour me livrer au bourreau.
— Et je ne le regrette pas. Et je recommencerais demain si l'occasion m'en était donnée.
Des larmes brûlantes montèrent aux yeux de Catherine, roulèrent sur ses joues.
— Ne vous gênez pas, alors. Tuez-moi. Vous avez une épée au côté, ce sera si vite fait ! Ce sera mieux que votre injustice. Pourquoi ne voulez-vous pas entendre ce que je puis dire sur la mort de votre frère ? Je jure que...
Une clameur qui monta soudain, à l'intérieur de la cité royale, l'interrompit. Au-delà de la porte fortifiée, on criait, on courait et, en même temps, une grande lueur rouge illumina le ciel par-dessus le rempart. Arnaud lâcha Catherine.
— Que se passe-t-il ? demanda-t-elle.
— On dirait un incendie. Venez voir !...
D'un commun accord, ils se mirent à courir, franchirent la porte et remontèrent vers l'endroit d'où partaient les cris. Au bout de la rue, Catherine vit de hautes flammes bondir à travers les fenêtres brisées d'une maison d'où partaient des cris et chancela.
— Mais... c'est ma maison ! fit-elle d'une voix blanche. C'est ma maison qui brûle !
— Qu'est-ce que vous dites ? s'écria Arnaud en saisissant sa main. C'est là que vous habitez ?
— Oui... Mon Dieu et Sara ! Sara ! Sara ! Elle dormait quand je suis partie.
Comme une folle elle se mit à courir vers la maison incendiée. Construite tout en bois comme beaucoup de ses voisines, elle flambait comme un fagot.
La rue était pleine de gens qui, déjà, faisaient la chaîne avec des seaux de cuir remplis d'eau. Mais ce n'était guère efficace et, dans l'intérieur de la maison, on entendait des cris, des appels.
— Mon Dieu ! gémit Catherine en se tordant les mains de désespoir. Sara est prise dans les flammes ! Elle va mourir !
Des larmes jaillirent de ses yeux. Elle oubliait à cette minute tout ce qui n'était pas sa vieille amie en danger. Mais comment Sara pourrait-elle sortir de ce brasier ? Sur le fond des flammes, Catherine vit une silhouette échevelée qui se découpait en noir et qui appelait à l'aide.
— Je vais essayer de la tirer de là, fit Arnaud brusquement. Ne bougez pas !
Vivement il débouclait le ceinturon qui supportait son épée, arrachait son pourpoint, sa chemise, ne gardant que ses chausses collantes qui n'offriraient guère de prise au feu. Catherine, les yeux agrandis, le vit
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