Il suffit d'un Amour Tome 2
les moines s'activaient autour des marmites, violemment éclairés par les flammes dansantes. Nul ne faisait attention à elle.
Rapidement, Catherine traversa la cour, gagna les degrés de pierre qui menaient au chemin de ronde, monta... Il n'y avait personne, derrière les créneaux de l'abbaye. Mais, en bas, sur la place du village, une agitation insolite régnait. Les routiers avaient fait des feux de bivouac autour desquels certains se reposaient. Catherine reconnut Garin et le Bègue de Pérouges, assis auprès du plus important de ces feux, mangeant et buvant. Par contre la plus grande partie de la troupe s'activait et ce qu'elle faisait arracha une exclamation d'horreur à la jeune femme.
À l'aide de planches et de clous qu'ils avaient dû prendre chez le charpentier de Saint-Seine, ils étaient occupés à condamner les portes et les fenêtres des maisons, pour empêcher les habitants de sortir. D'autres, venant du bout du village, apportaient d'énormes brassées de paille et de bois mort qu'ils entassaient devant les maisons au fur et à mesure que leurs compagnons achevaient leur travail de clôture. L'effroi glissa dans les veines de Catherine comme un ruisseau de glace. Elle ne comprenait que trop bien ce qui allait se passer, demain matin, quand l'abbé refuserait de la rendre.
Quelques torches jetées dans ces brasiers tout préparés et le village en entier flamberait d'un seul coup. Les braves gens enfermés à l'intérieur grilleraient tout vivants, avec leurs enfants, leur bétail, leurs modestes richesses...
Catherine sentit qu'elle ne pourrait le supporter. S'il lui fallait, pour se garder de Garin, contempler la ruine de ce pays, entendre les hurlements des innocents sacrifiés, jamais plus elle ne pourrait dormir !
Bien sûr, les raisons d'Ermengarde étaient bonnes. Peut-être même avait-elle raison en disant que sa reddition ne sauverait pas le village menacé. Mais, ce risque Catherine n'avait pas le droit de l'éviter. Même si cela ne lui servait qu'à mourir avec les autres, elle préférait encore cette solution-là... Du moins mourrait-elle sans se mépriser !
Sans plus réfléchir, Catherine dégringola le raide escalier. Elle avait remarqué, vers les étables de l'abbaye, une petite porte ouvrant directement sur les champs. Elle était dans un renfoncement, donc peu visible, et l'abbé n'avait peut-être pas songé à la faire garder comme le grand portail où veillaient les hommes d'Ermengarde. Rapidement, rasant les murs pour ne pas être vue, la jeune femme s'éloigna vers l'ombre des bâtiments. Si forte était sa résolution de se sacrifier qu'elle n'avait même pas peur. Ce qu'elle ressentait, c'était une sorte d'exaltation comme devaient en éprouver les victimes offertes en holocaustes sur les autels barbares. C'était pour que d'autres vivent qu'elle allait mourir...
La porte, qu'elle atteignit presque à tâtons, n'était pas gardée, mais elle était fermée par une lourde barre de fer passée dans des gâches et qu'il ne devait pas être facile de faire glisser. Catherine, pourtant, s'y attaqua. Tirant de toutes ses forces sur le loquet de cette barre, s'y écorchant la paume des mains, elle parvint à la faire bouger. Lentement, lentement, la barre glissa, quitta son logement. Les mains de Catherine étaient en sang, son visage couvert de sueur quand, enfin, elle reposa la barre à terre. Plus rien, maintenant, ne l'empêchait de sortir... Au-delà du mur, elle prendrait sa course vers Garin, se jetterait à ses pieds s'il le fallait, s'humilierait pour fléchir sa colère...
Elle tira, non sans peine, la lourde porte à elle.
Mais une main sortie de l'ombre appuya vivement sur le battant entrouvert qui retomba.
— Il est formellement interdit à qui que ce soit de sortir de l'abbaye ! fit une voix paisible. C'est l'ordre de Monseigneur l'abbé !
Un moine qui portait sous le bras un gros paquet de paille se tenait devant elle. Il devait être dans l'étable pour y prendre de quoi allumer un nouveau bûcher tandis qu'elle essayait d'ouvrir la porte... Dans l'ombre, elle vit une forme courte et trapue, un crâne rond et lisse sur la blancheur duquel tranchait une mince couronne de cheveux. Tranquillement, le moine jetait à terre son ballot, ramassait la barre de fer et la réengageait dans ses gâches.
Eperdue, Catherine l'implora :
— Je vous en supplie, laissez-moi sortir. Il faut que j'aille trouver ces gens, là, dehors. C'est moi qu'ils cherchent !
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