Il suffit d'un Amour Tome 2
pour autant reléguée à son premier état de baigneuse. Il fut convenu que la jeune fille partagerait avec Sara la garde et l'entretien des robes et des joyaux.
Il y avait longtemps que Catherine et son ami arabe ne s'étaient trouvés face à face. Ils restèrent un moment sans parler puis, tandis que le médecin s'installait dans un fauteuil, la jeune femme alla tendre ses mains froides aux flammes de la cheminée.
— Quel gâchis que tout cela ! soupira-t-elle. Par la folie de cet homme que l'on m'a donné pour mari, j'ai failli perdre la vie et nous voici, tous deux, sans logis, presque proscrits. Sans Ermengarde je serais à la rue sans doute, montrée du doigt, n'osant peut- être même pas entrer chez ma mère par crainte de la mettre en danger. Et tout cela, pourquoi ?
— Tout cela à cause de la pire folie qu'Allah ait laissée se glisser dans le sang et la raison des hommes : à cause de l'amour ! répliqua tranquillement Abou-al-Khayr en regardant obstinément le bout de ses doigts qu'il entrelaçait puis relâchait tour à tour.
Catherine se retourna vers lui d'un seul mouvement :
— L'amour? À qui ferez-vous croire que Garin m'aimait ?
— À toi peut-être, si toutefois tu voulais bien réfléchir ! L'intelligence de ton mari était grande, et de haute qualité. Un homme de sa valeur ne se rabaisse pas au rang d'une bête furieuse sans une raison bien puissante. Il savait qu'il y risquait sa fortune, sa réputation, sa vie... tout ce qu'il a perdu ou va perdre. Et pourtant il a commis ces folies. Comment croire que la jalousie, donc l'amour, ne furent pas les raisons profondes de tout cela ?
— Si Garin m'aimait, lança Catherine furieusement, il eût fait de moi sa femme, par la chair aussi bien que devant Dieu. Or, il n'a jamais tenté de s'approcher de moi. Bien plus, il m'a repoussée...
Et c'est cela que tu ne lui pardonnes pas ! Par Mahomet, tu es plus femme que je ne croyais. Tu t'es donnée sans amour à un homme, tu reproches à un second de ne t'avoir point soumise à lui... et pourtant c'est un troisième que tu aimes. Le sage a bien raison de penser qu'il y a plus de raison dans le vol d'un oiseau aveugle que dans la cervelle d'une femme ! fit le Maure avec amertume.
Catherine fut sensible à la nuance de dédain qui transparaissait dans la voix du médecin. Des larmes de colère lui montèrent aux yeux.
— Ce n'est pas cela que je ne lui pardonne pas ! s'écria-t-elle. C'est son odieuse attitude envers moi ! Il m'a jetée dans les bras de son maître et ensuite il a tenté de m'avilir, de me tuer. Et je ne comprends pas pourquoi !
Vous qui semblez posséder l'universelle sagesse, pouvez-vous me dire la raison de mon mariage blanc... avec un homme qui, cependant, me désirait !
J'en ai eu la preuve !
Abou-al-Khayr secoua la tête. Des plis soucieux s'étaient creusés dans son front lisse et à la naissance de son absurde barbe blanche.
— Quel sage pourra jamais connaître le secret du cœur d'un homme ? fit-il avec un geste d'impuissance. Si tu veux savoir ce que cache l'âme de ton mari, quel secret il est sur le point d'emporter dans sa tombe, que ne vas-tu le lui demander ? Sa prison est voisine. Et j'ai entendu dire que le geôlier des prisons, un certain Roussot, est un homme dur mais avare et très sensible à la chanson de l'or.
Catherine ne répondit pas. Elle était revenue vers la cheminée et contemplait à nouveau les flammes. L'idée de se retrouver en face de Garin lui faisait horreur. Elle craignait de n'avoir pas la force de garder son sang-froid, de se laisser aller à sa colère et à sa haine. Pourtant, elle reconnaissait que le médecin avait raison. La seule façon possible de connaître le secret de Garin, s'il en avait un, et n'était pas seulement tombé dans une folie subite, c'était de le lui demander. Mais il lui fallait vaincre auparavant cette répugnance qu'elle éprouvait à l'idée de le revoir et, cela, c'était son problème à elle. Nul ne pouvait l'aider à le résoudre.
Une semaine plus tard, la cour du vicomte-mayeur et des échevins se réunit dans le cloître de la Sainte- Chapelle. Les magistrats de la ville y tenaient leurs assises plus volontiers qu'à la maison du Singe où la proximité des prisons sordides et des salles à donner la question rendait le séjour assez répugnant et fort peu propice à la méditation. Au surplus, la nature du cas à juger leur paraissait nécessiter une sorte de huis-clos peu facile à
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