Jacques Cartier
retraite à ces fameux «chiens du guet» qui livrèrent cours à un dicton bien connu.
«En 1158, dit l'abbé Manet, on établit à (Saint-Malo) une garde de chiens pour la sûreté du port. Le nombre de ces chiens fut d'abord de 34, puis de 12 à 13.
«Pendant le jour, on les tenait enfermés exactement dans leur chenil, situé au pied du mur de Gorge du bastion de la Hollande. Le soir, à la fermeture des portes, le gardien les conduisait dans le port et ne les lâchait qu'à dix heures, après le couvre-feu. Il les rappelait une heure avant le jour.
«Dans les derniers siècles, trente boisseaux de blé étaient affectés par le Chapitre pour leur nourriture annuelle ; les deniers de la communauté, les débris de la boucherie et quelques autres curées fournissaient le reste.
C'est cet usage local qui a donné naissance à la chanson de M. Dumolet. Un accident, arrivé le 7 mai 1770, à un jeune officier de marine, qui périt dévoré par ces animaux, décida les juges baillifs, chargés de la police du port, à s'en défaire. Tous ces chiens furent immédiatement empoisonnés [Histoire de la Petite-Bretagne, p. 50.].»
Les terribles molosses vaguaient sur la grève, quand Georges de Maisonneuve dépassa leur chenil.
Ils se précipitèrent en grondant à sa rencontre. Mais leurs grondements n'avaient rien d'hostile. C'était bien plutôt une démonstration amicale. Plusieurs mois auparavant, le jeune homme avait entrepris de les dompter. Il y était parvenu, au moyen de distributions de viande, de caresses, adroitement faites, et d'une fascination particulière qu'il exerçait sur les bêtes aussi bien que sur les gens.
Les chiens l'entourèrent, en bondissant de joie, en agitant la queue. Il les écarta doucement et descendit derrière le petit môle, «proche la Grand'Porte,» vers l'anse où le navire de maître Jacques Cartier était à l'ancre.
Tout se passa d'abord au gré de Georges. Il lia conversation avec l'homme de quart aux bossoirs ; se plaignit de la froide bruine qui tombait et offrit de la combattre par un coup de vin-de-feu.
—Mordienne, ça ne ferait pas de mal, dit le marinier ; par malheur, je n'en ai pas.
—Mais moi, j'en ai, camarade ; un bon matelot ne s'embarque jamais sans biscuit, dit le faux garde. Voulez-vous que je vous jette ma gourde ?
—Elle pourrait tomber à la mer. Sautez plutôt sur le pont.
Georges ne se le fit pas répéter.
Comme il prenait pied sur le tillac, un bruit étouffé d'avirons se fit entendre.
—Qui diable accoste à cette heure ?
Si c'étaient les Tondeux, ça ferait votre affaire, hein, monsieur le garde ? dit avec un sourire le factionnaire, en regardant par-dessus la lisse de bâbord.
Le moment était propice. Georges tira son stylet et, d'un mouvement rapide comme l'éclair, le planta dans le dos du pauvre marinier, qui tomba lourdement, pour ne se relever jamais.
La cadence des avirons devenait de plus en plus sensible ; à son tour le chef des Tondeurs se penchait par dessus le bord pour regarder, quand une formidable exclamation le fit tressaillir.
—Terr i ben ! avait-on crié derrière lui.
Il voulut se retourner. Mais déjà dix doigts, inflexibles comme l'acier, avaient serré un carcan à son cou.
Impitoyablement, ils l'étranglaient.
CHAPITRE IX. «LE CHARIOT.»
Quand, par qui fut posée la première pierre du Château de Saint-Malo ? Problème, dont nos archéologues cherchent encore la solution. Peut-être, cependant, est-il permis de hasarder une conjecture vraisemblable sur l'époque de sa fondation. Pourquoi ne remonterait-elle pas à la fondation de la ville elle-même, c'est-à-dire au huitième siècle ? On sait que Saint-Malo occupe un îlot, qu'une étroite langue,—le Sillon,—relie au continent. Par terre, la ville n'est accessible que de ce côté. Aussitôt qu'elle commença à s'élever, on dut donc songer à la défendre sérieusement sur ce point. Une tour fut bâtie. Le Petit Donjon probablement. N'est-il pas la portion la plus ancienne du Château ? Vauban eut cette opinion. Nous doutons qu'il se soit trompé. L'importance des fortifications marcha de pair avec celle de la cité. Bientôt la tour isolée parut insuffisante. On lui donna une soeur. Puis d'autres encore. Une ceinture de murs les maria plus tard en un seul groupe. Le Château était constitué.
Ce ne fut pas, cependant, sans résistance des autorités ecclésiastiques. Prétendant à l'omnipotence dans la ville, ce château, ouvrage des
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