Jacques Cartier
haut un hanap, rempli de rosoglio de Zara, il s'écria :
—Au moment de me séparer de vous pour quelque temps, mes aimables compagnons de plaisirs, mes joyeux amis, je bois à votre santé, à la multiplicité, à la diversité de nos folles amours !
—Malo ! Malo ! [Ou sait que ce cri breton répond à notre ; Vive ! vive !] pour Georges ! et rubis sur l'ongle, ripostèrent ses hôtes, avec des cris assourdissants.
Armés de coupes, pleines jusqu'aux bords, les bras s'allongèrent vers la centre de la table, formant, au-dessus, comme un faisceau de manches et de manchettes bouffantes ; un harmonieux cliquetis de cristal et d'argent se fit entendre, et, d'un trait, chacun vida sa coupe.
C'était le signal de la fin du repas, mais le commencement de la débauche.
Elle allait allumer ses feux impurs.
En ce moment, neuf heures sonnèrent à une belle horloge padouane, accrochée à l'un des lambris de la salle.
—Mes amis, dit Georges, vous connaissez notre devise : «Liberté en tout et pour tous.» Une affaire m'appelle au dehors. Mais disposez de la maison et de ce qu'elle renferme comme de biens à vous appartenant.
Écartant alors la portière d'une pièce contiguë, il disparut.
—Il va sans doute encore à quelque rendez-vous d'amour ! est-il heureux ! murmura l'un des convives.
—Qu'est-ce que cela te fait ! s'écria son voisin ; n'avons-nous pas, pour nous distraire, ces voluptueuses houris qu'il a fait venir je ne sais d'où, mais dont la complaisance ne saurait, mon cher, nous faire défaut. Quelle fête ! Quel homme que ce Maisonneuve ! Quel beau rôle il eut joue sous les derniers empereurs romains ! N'est-ce pas, mon ange ? continua-t-il, en faisant ployer sous son bras la taille souple de la jeune fille qui l'avait servi, et dont il rougit l'épaule nue par un baiser.
Des bravos enthousiastes, furieux, couronnèrent ce début de l'orgie.
Pendant qu'ils retentissaient, Georges de Maisonneuve traversait une chambre à coucher somptueusement meublée. De là, il passait dans un cabinet de travail tort élégant, dont une grande bibliothèque sculptée occupait tout un côté. Elle se composait de deux compartiments : l'un, supérieur, vitré, laissait voir sur ses rayons ces admirables reliures qui furent une des gloires du seizième siècle ; l'autre, inférieur, était fermé par deux vantaux de chêne plein.
Georges ouvrit ce deuxième compartiment.
Il était rempli par des in-folios énormes. Le jeune homme en retira quelques-uns et pressa un bouton imperceptible, dans le fond de la bibliothèque. Le panneau glissa, démasquant une ouverture de quelques pieds carrés. Georges se coula à travers cette ouverture ; puis il étendit le bras, remit les volumes à leur place, et fit jouer un nouveau ressort secret, qui referma, tout à la fois, les vantaux extérieurs de la bibliothèque et le panneau intérieur.
Alors il battit le briquet et alluma une petite lanterne sourde, posée à terre. Georges était dans un couloir resserré faisant retour sur l'appartement qu'il avait quitté. Il s'avança d'une vingtaine de pas environ. La galerie était toujours la même, sombre, haute, étroite.
Georges s'arrêta, colla son oreille à l'orifice d'un cornet acoustique, habilement dissimulé.
—Bon, murmura-t-il, après avoir écouté un instant ; bon, mes lurons chantent et s'ébaudissent avec les ribaudes que j'ai fait venir de Rennes ; tout à l'heure, je leur ferai danser la grande danse !
Ayant souri à cette idée, Georges poursuivit son chemin. Quelques pas plus loin, la muraille nue se dressa devant lui. Une corde pendait libre du plafond. Maisonneuve mit sa lanterne dans ses dents, s'accrocha à cette corde et grimpa. Parvenu au point de suspension, il heurta de la tête le plafond qui s'ouvrit. Avec la légèreté d'un chat, Georges s'élança dans l'entrebâillement. Un moment après, il se trouvait dans une vaste pièce qu'on eût pu prendre pour le vestiaire de l'univers. Habillements, équipements, armes, il y en avait pour tous les métiers, pour toutes les nations. On y voyait même quelques costumes africains et asiatiques ou d'origines complètement inconnues.
Ce n'est pas tout.
Sur une table longue, une innombrable quantité de pots, fioles, flacons, renfermant des couleurs, des essences, des parfumeries, des fards, depuis l'antique sulfure d'antimoine, jusqu'à la cochenille et à l'orcanette, annonçaient que, dans cette chambre, on pouvait se travestir de la
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