Jacques Cartier
générale de l'expédition, et un pouvoir absolu sur les «pillottes, maistres, compagnons mariniers et aultres,» qui l'accompagneraient.
Quand ces Lettres patentes eurent été lues en la baie Saint-Jean et publiées par «bannye» dans la ville de Saint-Malo, les ennemis de Jacques Cartier durent crever de jalousie.
Leur rage ne le préoccupa guère. Le succès ne l'enivra point non plus. Il continua de se montrer ce qu'il était : réservé avec ses supérieurs, obligeant avec ses égaux, sévère mais juste avec ses subalternes, bon avec tous.
Cartier passa l'hiver en courses, tantôt à Paris, tantôt à Rennes, tantôt dans les ports du littoral breton.
L'année 1538 s'ouvrit sous de fâcheux auspices. Un moment Cartier put craindre pour la réalisation du désir de toute sa vie. Depuis quelques années suspendue par le traité de Cambrai (1529), la guerre se rallumait. Le roi de France était prêt.
La mort de sa mère lui avait donné de l'argent. Jusqu'alors, nous avions été tributaires de l'étranger pour l'infanterie. François venait d'instituer les légionnaires, ce «qui fust une très-belle invention,» dit Montluc. Je ne crains pas d'ajouter qu'elle sauva la France. Car ce n'était pas sans quelque raison que Charles-Quint annonçait dans Rome qu'il comptait sur la victoire et déclarait que, «s'il n'avait pas plus de ressources que son rival, il irait à l'instant les bras liés, la corde au cou, se jeter à ses pieds et implorer sa pitié [Michelet.].»
L'assassinat d'un ambassadeur par le duc de Milan fut le prétexte des hostilités. François leva une puissante armée, sous la conduite de Philippe de Chabot, car alors les amiraux recevaient tout aussi bien le commandement des troupes de terre que de mer, et l'on se prépara aussitôt à entrer en campagne.
C'était l'appréhension de cette campagne qui troublait la noble satisfaction de Jacques Cartier. Un revers pouvait renverser tous les dessins du hardi navigateur. Aussi, le printemps arrivé, se hâta-t-il de terminer ses apprêts.
Charles de Mouy avait mis à sa disposition trois navires : la Grande-Hermine, de 120 tonneaux environ ; la Petite-Hermine, de 60 ; et l'Émerillon, de 40.
Le capitaine-général Jacques Cartier arbora son pavillon sur la Grande-Hermine ; il prit comme maître de nef Thomas Fromont. La Petite-Hermine eut pour commandant Marc Jalobert, pour maître Guillaume Le Marié. L'Émerillon fut placé sous les ordres de Guillaume Le Breton et de maître Jacques Maingard.
Le 15 mai l'armement et l'arrimage des vaisseaux étaient terminés. Le dimanche 16, après l'office divin, on consigna les équipages à bord. Il avait été décidé de lever l'ancre dès que la brise le permettrait. Dans la nuit du 16 au 17, une vingtaine de transportés furent enfermés dans les cales de la Grande et de la Petite-Hermine. Et le 19, au matin, le vent soufflant bon frais du sud-ouest, Jacques Cartier fit appareiller.
Cette fois, la solennité du départ fut plus brillante encore que la première. Non-seulement les trois navires, mais la ville étaient pavoisés de flammes ondoyantes.
Des milliers de curieux encombraient les grèves, les remparts et jusqu'aux toits des édifices. Il en était venu de tous les coins de la Bretagne, de la Normandie, du Maine, même de l'Anjou. C'est qu'aussi la nouvelle de l'expédition avait eu du retentissement. Un essaim de gentilshommes, avec leurs pages, s'étaient enrôlés sous la bannière de Jacques Cartier. A son bord, on remarquait, entre autres, Claude de Pontbriand, échanson du Dauphin, Charles de la Pommeraye, de Goyelle, et Jean Poullet. Sur la Petite-Hermine et sur l'Émerillon, il y avait aussi plusieurs jeunes gens considérables dans le royaume par leur noblesse ou leur fortune.
L'animation était grande, les espérances sans bornes. La voix imposante du canon appuyait les joyeuses acclamations du peuple.
Cartier fit, dans le port, ses adieux à sa famille. Constance eut pour Étienne Noël de feintes tendresses, et le signal du départ fut donné.
Les trois navires sortirent majestueusement de la rade et s'élancèrent, toutes voiles déployées, vers la Manche.
Pendant dix jours, le vent fut très-favorable. On navigua de conserve. Mais, le 20 mai, il s'éleva une tempête affreuse, qui dura «en ventz contraires et serraisons, autant que navires qui passassent jamais la mer, eussent sans amendement.» Le 25, les trois vaisseaux se perdirent, pour ne se retrouver qu'au,
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