Jacques Cartier
rendez-vous qu'ils avaient pris, à la terre neuve.
Georges avait été embarqué, avec dix autres prisonniers, sur la Petite-Hermine. Il y était connu sous le nom de Philippe, ayant adopté ce nom lors de son arrestation.
On peut juger de sa stupeur quand il se vit claquemuré à fond de cale, avec dix voleurs de la pire espèce.
Cette stupeur fut d'autant plus grande que, quelques minutes auparavant, Georges s'était énergiquement rattaché à l'espoir d'une liberté prochaine. Dans l'un des fruits que lui avait donnés Constance, il avait trouvé un billet très-adroitement introduit. Ce billet relevait son courage. On s'occupait de lui. On avait un plan d'évasion. Un gardien était à demi gagné. Georges devait limer ses fers, avec un ressort d'acier enfoncé dans un autre fruit. Bientôt, il recevrait une nouvelle visite.
Outre cela, Constance avait encore pu lui jeter, à la dérobée, le lecteur s'en souvient, quelques limes et une pelote de ficelle, fourrées sous sa basquine.
Quand on vint le prendre pour le mener à bord de la Petite-Hermine, Georges s'abandonnait donc encore à de charmantes perspectives. Le choc fut rude comme un coup de massue ; car, tout de suite, notre homme avait compris la peine à laquelle il était condamné. Condamné, non ; destiné, plutôt. Nul jugement n'avait été rendu contre lui. Comme il était un sujet de discorde pour l'autorité civile aussi bien que pour l'autorité religieuse, chacune avait accepté avec plaisir l'occasion de s'en débarrasser, par un moyen terme, sauvant l'amour-propre de la corporation. Et on l'avait inclus parmi les détenus que maître Jacques Cartier emmènerait par-delà l'Atlantique.
Un instant, Georges plia sous le poids de cette ruine si prompte, si inattendue, si écrasante de ses aspirations nouvelles. Autour de lui, on riait, on causait, on chantait. Ses compagnons échappaient au gibet. Ils étaient ravis du voyage qu'ils allaient faire. C'était pour eux un voyage d'agrément. L'arrivée de Georges ou plutôt de Philippe—nous devrons l'appeler désormais ainsi—leur déplut.
Ils se connaissaient à peu près tous. Ils ne le connaissaient pas. Ils le prirent pour un espion. Son manque de familiarité, sa hauteur contribuèrent à les entretenir dans cette opinion. Ils résolurent de lui faire la vie dure. Et dure, assurément, elle était assez déjà, dans cet étroit espace, privé de la quantité d'air et de lumière suffisants à la santé, où ils étaient enchaînés, entassés, parmi les barriques de goudron, les vieux, cordages, les espars, les ferrements, tous les lourds objets qui ne sont pas d'une utilité immédiate dans un navire. Avec cela, des légions de souris et de rats, une puanteur, une incommodité insupportable.
Tout d'abord, Georges avait songé à se révolter avant qu'on ne levât l'ancre. Il avait emporté ses limes et son ressort, cachés dans sa chaussure. Mais tout de suite aussi, il découvrit qu'il ne serait pas secondé par ses co-captifs. Ceux-ci manquaient d'audace. Bons à commettre les crimes qui n'exigeaient que la ruse ou la supériorité du nombre, ils eussent reculé devant une action d'éclat, exigeant quelque bravoure. Leur sort, du reste, leur paraissait plutôt digne d'envie que de regret. Dans de telles conditions, il n'y avait point à compter sur eux.
Bien malgré lui, Philippe replia les ailes de son imagination. Mais il lutta contre l'abattement, et s'en remit au temps du soin de sa destinée.
Quand l'on fut en pleine mer, le capitaine Marc Jalobert fit assembler les prisonniers sur le pont. Là, il les informa qu'on allait les délier, qu'ils vaqueraient au service du navire, comme matelots, mais que, si l'un d'eux faisait la moindre résistance, il serait sur-le-champ passé par les armes.
Cette déclaration ne pouvait manquer d'être bien accueillie par les misérables détenus.
On les mit en liberté, et on les distribua dans les différentes escouades de l'équipage. Ils partagèrent, dès lors, chaque jour, le travail et les repas des matelots ; mais le soir, on les verrouillait dans la cale, où ils couchaient.
Philippe n'était point novice dans l'art nautique. Il y avait même des notions assez profondes, qui le firent remarquer par le capitaine et lui valurent quelques faveurs. La suspicion en laquelle le tenaient ses compagnons s'en accrut. Tout en subissant sa supériorité, ils couvaient contre lui une haine, se manifestant chaque fois que l'opportunité se
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