Jacques Cartier
ou tard, vous reviendriez...
—Oh ! c'était et c'est encore mon projet de visiter le pays de Saguenay, quoique tu penses qu'il n'y ait point de mines d'or.
—Ma Nou-ma-la décédée (j'appelais ainsi, ma défunte), je songeai à démarrer, reprit Jean Morbihan. Une certaine nuit, je chargeai de provisions mon casnouy d'écorce de bouleau et filai vers la baie de Gaspé, ou je comptais bien trouver quelque navire pécheur pour retourner tôt ou tard en Bretagne. Et, le bon Dieu aidant, me voici sain et sauf, maître Jacques ! Mais quand je songe que moi, Jean Morbihan, qui avais jure de vivre célibataire, je me suis marié à la septantième année de mon âge, et avec une sauvagesse....
Terri ben ! faut plus douter de rien !
—Revenons à nos jeunes gens, reprit rêveusement Cartier. Il parait, d'après toutes ces présomptions, que ce Philippe on Georges n'est autre qu'Olivier Dubreuil, fils du Français que nous n'avons pu arracher à la fureur des sauvages de Terreneuve. Plus j'y réfléchis, en effet, plus je trouve que tu dois avoir raison. Quand, pour me conformer à la promesse faite à son père mourant, je fis des recherches à Dieppe, on me dit que ses grands-parents étaient décédés et que le jeune Olivier avait été emmené en Écosse par un ami de la famille.
Seulement, personne ne put me dire le nom de cet ami. Mais je me souviens que ce Georges de Maisonneuve, que nous avons vu faire tant d'éclat à Saint-Malo, prétendait être Écossais d'origine. Il semblait avoir vingt-cinq ou vingt-six ans, n'est-ce pas ?
—Min Gieu, oui, maître.
—C'est cela. Son père quitta Dieppe vers 1510, et Olivier n'était âgé que de quelques mois..... Mais, qu'est-il devenu ? On ne l'a point revu depuis le jour où il faillit t'assassiner, mon vieux Jean...
—Oh ! je l'absous de tout mon coeur !
—Et sa soeur ! Où est-elle à cette heure ? Étrange destinée qui les a ramenés tous deux sur cette terre lointaine de leurs aïeux maternels ! Que profondes et inexplicables sont les voies de la Providence divine ! Pourvu, ô mon Dieu.... Mais non, vous ne souffririez pas !...
—Ainsi, maître Jacques, vous n'avez plus entendu parler de lui ? interrompit Jean Morbihan.
—Non.
Aurait-il roulé avec toi dans le gouffre ?
—Ça n'est pas probable. Mais pourtant.... j'étais si étourdi par ce que je venais de voir.... Je ne me rappelle rien !
—Prenons une détermination. Tu as sagement agi en ne révélant pas tes soupçons à ma femme. Il faut lui cacher avec soin ce que nous conjecturons de l'étroite parenté entre Constance et...
—Soyez tranquille, maître ; j'ai appris à connaître les dames, pendant mes trois années de mariage, min Gieu, oui !
—Je n'ai pas besoin de te recommander le silence
vis à vis des étrangers. On m'a promis une Commission nouvelle ; par ma Catherine ! je vais en presser la délivrance. Nous remettrons à la mer aussitôt le printemps venu, et il faudra bien que nous retrouvions cette enfant, car une voix intérieure m'assure qu'elle n'a pas péri dans le naufrage du Saint-Vincent.
—Min Gieu, oui, nous la retrouverons ! appuya Morbihan d'un air et d'un accent convaincus.
Cette conversation avait eu lieu peu de temps après que Jacques Cartier était revenu de Compiègne. Fort de la parole du roi, il se flattait de pouvoir reprendre l'oeuvre de ses explorations au commencement de l'année suivante. Mais de lourdes déceptions le retardèrent. Toujours en lutte avec Charles-Quint, François Ier ne pouvait guère sacrifier ses hommes et son trésor à une entreprise hasardeuse.
«La voix de Cartier fut, dit M. Garneau, perdue dans le fracas des armes et l'Amérique oubliée.
«Il fallut attendre un moment plus favorable... Ce ne fut que vers 1540 que François Ier put s'occuper sérieusement des découvertes du pilote malouin.
Tout en France a des ennemis acharnés, même les choses les plus utiles. Le succès de la dernière expédition avait réveillé le parti opposé aux colonies qui fit sonner bien haut la rigueur du climat des contrées visitées par Cartier, son insalubrité qui avait fait périr d'une maladie cruelle une partie des Français. Enfin, l'absence des mines d'or et d'argent. Ces observations laissèrent d'abord une impression défavorable sur quelques esprits. Mais les amis de la colonisation finirent par détruire l'effet de ces propos, en faisant valoir surtout les avantages que l'on pourrait retirer du commerce des pelleteries
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