Je suis né un jour bleu
pas qu’il m’affectait. Pour
la même raison, je détestais les ballons et je rentrais la tête dans les
épaules dès que j’en voyais un. J’étais terrifié à l’idée qu’il éclate soudain
violemment.
Après notre déménagement pour Blithbury
Road, j’allai jusqu’à mes 5 ans à l’école maternelle dans un établissement
proche qu’on avait appelé Dorothy Barley – en hommage à une abbesse du XVI e siècle qui avait vécu près d’ici sous Henri VIII. On nous donnait souvent
du papier et des crayons de couleur pour nous encourager à dessiner et à
colorier. J’ai toujours aimé cela, bien que je trouve difficile de tenir le
crayon entre mes doigts plutôt qu’en le serrant avec ma paume. J’aimais tracer
des cercles de tailles différentes. Le cercle était la forme que je préférais
et j’en dessinais toujours.
À la maternelle, dans un coin de la salle,
il y avait une caisse remplie de jouets. Mes préférés étaient les perles de
couleur. Je les prenais dans mes mains et les secouais pour les voir vibrer à l’intérieur
de mes paumes. Quand on nous donnait des tubes en carton (pour faire des jumelles
ou une longue-vue), je m’amusais à laisser rouler les perles à travers le tube,
fasciné qu’elles entrent d’un côté pour sortir de l’autre. Si je trouvais une
caisse ou un pot, je jetais les perles dedans avant de les en faire tomber
– et de recommencer.
Sur l’un des murs, il y avait une
bibliothèque avec une sélection de livres. Mon préféré était The Very Hungry
Caterpillar. J’aimais les trous dans les pages et les illustrations
arrondies et brillantes. Il y avait un coin-lecture où les enfants pouvaient s’installer
sur un grand tatami autour d’un adulte pour l’écouter lire un livre. À l’une de
ces occasions, je m’étais assis dans le fond, les jambes croisées et la tête
dans les genoux, absorbé dans mon monde à moi. Je n’entendais pas un mot de ce
qu’on racontait. À la place, sans m’en rendre compte, je commençai à chantonner,
bouche fermée. Lorsque je levai les yeux, l’assistant avait cessé de lire et
tout le monde me regardait. J’arrêtai et je baissai la tête pour que la lecture
reprenne.
Je ne me souviens pas de m’être senti
seul à la maternelle, probablement parce que je me concentrais sur les livres, les
perles et les cercles. Doucement, je crois que le sentiment d’être différent
commençait à faire son chemin en moi. Mais pour une raison quelconque, cela ne
me gênait pas. Je ne ressentais pas encore le désir d’avoir des amis. Pour être
heureux il me suffisait de jouer tout seul.
Quand venait le temps des jeux de groupe,
comme les chaises musicales, je refusais de participer, terrifié à l’idée que
les autres enfants puissent me toucher au moment de se disputer les chaises. Aucune
tentative de la part des adultes n’aurait réussi à me convaincre. Au contraire.
On m’autorisa finalement à rester debout contre un mur et à regarder les autres
jouer. Aussi longtemps qu’on me laissait tranquille, j’étais heureux.
Quand je rentrais à la maison, je montais
directement dans ma chambre. Quels que soient ma fatigue ou mon humeur, j’allais
ramper jusque sous mon lit et m’allonger dans ses ténèbres. Mes parents apprirent
à frapper doucement à la porte avant de rentrer pour voir si j’allais bien. Ma
mère me faisait toujours lui raconter ma journée à la maternelle. Elle voulait
ainsi m’encourager à parler, moi qui étais si silencieux.
Ma chambre était mon sanctuaire, un
espace intime dans lequel je me sentais à l’aise et heureux. J’y passais une
grande partie de la journée, au point que mes parents prirent l’habitude de
monter dans la chambre, pour venir s’asseoir près de moi et passer du temps
tous ensemble. Jamais ils ne m’ont montré d’impatience.
Aujourd’hui, au moment même d’écrire sur
mon enfance, je suis frappé par tout ce que mes parents ont fait alors que je
ne leur donnais pas grand-chose en retour. Les écouter me raconter mon enfance
a été une expérience magique pour moi, qui m’a fait comprendre, rétrospectivement,
l’importance du rôle qu’ils ont joué dans la constitution de la personne que je
suis devenue. En proie à tous les problèmes que je leur posais, mes pleurs, mes
colères, ils m’ont aimé sans conditions, se sacrifiant pour m’aider – petit
à petit, jour après jour. Ils sont mes héros.
3
TERRASSÉ PAR LA
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