Je suis né un jour bleu
n’étaient pas autorisées. Dans l’une
des chambres – celle des enfants – il y avait la place pour trois
lits. La chambre de ma grand-mère comportait un lit, une table et une chaise. Les
hommes n’étaient pas autorisés à passer la nuit au foyer, et son mari dut louer
une chambre au-dessus d’une boutique. Ils furent séparés pendant toute la durée
du séjour au foyer.
La vie au foyer était lugubre : pas
d’intimité, à l’exception des deux chambres qui devaient rester ouvertes à
toute heure. Le personnel était strict et dirigeait l’immeuble de manière militaire.
La famille détesta ce séjour d’un an et demi qui ne s’éclaira que de l’amitié
que noua ma grand-mère avec la gérante du foyer, une Mrs Jones. Enfin, la famille
déménagea dans une nouvelle maison.
Mon père rencontra son père pour la
première fois quand il avait 11 ans. À cette époque, les crises de mon
grand-père étaient moins fréquentes et il avait l’autorisation de sortir le
jour pour travailler dans sa cordonnerie. Le soir, il retournait à l’hôpital. Mon
père était très jeune quand la maladie de mon grand-père avait commencé, et il
n’avait pas de souvenir de lui, ni de son visage. Ils se rencontrèrent chez
cette amie qui l’avait recueilli avec ses demi-frères et sœurs. Papa se
souvient d’avoir serré la main d’un homme aux cheveux gris, mal habillé qu’on
lui présenta comme son père. Avec le temps, ils devinrent proches.
L’âge venant, la santé de mon grand-père
périclita rapidement. Mon père lui rendait visite aussi souvent que possible à
l’hôpital. Il avait 21 ans quand mon grand-père mourut. Le cœur avait lâché
après une attaque et une crise d’épilepsie. Au bout du compte, il avait été un
homme bon et bienveillant. J’aurais aimé le connaître.
J’ai eu la chance miraculeuse de vivre à
une époque de grands progrès médicaux, de sorte que mon expérience de l’épilepsie
a été très différente de celle de mon grand-père. Après les crises et le
diagnostic, mes parents redoutèrent que je sois désormais incapable de mener la
vie « normale » qu’ils voulaient pour moi. Comme pour beaucoup de
parents, être « normal », cela voulait dire être heureux et productif.
Les crises disparurent : comme pour
80 % des personnes concernées par l’épilepsie, mon traitement s’avéra
efficace. Je pense que ce fut un facteur déterminant, qui aida ma mère à gérer
ma maladie. Elle était très sensible au fait que, d’une certaine manière, j’étais
différent depuis toujours, vulnérable, toujours en manque de soins
supplémentaires, de soutien et d’amour. Parfois, elle s’inquiétait à l’idée que
je puisse avoir une autre crise à n’importe quel moment. Alors, elle passait
dans une autre pièce et pleurait doucement. Je me souviens de mon père qui me
disait de ne pas entrer dans la chambre quand ma mère était trop émue.
Je trouvais les sentiments de ma mère
très difficiles à saisir. Cela n’aidait pas que je reste dans mon monde à moi, absorbé
dans la contemplation de choses minuscules, mais incapable de comprendre les
changements émotionnels et les tensions au sein de la famille. Mes parents se
disputaient parfois, comme tous les parents, au sujet de leurs enfants – de
la meilleure marche à suivre pour eux. Dans ces querelles, leurs voix devenaient
d’un bleu profond dans mon esprit, je rampais par terre et pressais mon front
contre le tapis, les mains sur mes oreilles jusqu’à ce que le bruit disparaisse.
C’était mon père qui me faisait prendre
mes comprimés tous les jours, avec un verre de lait ou un verre d’eau au moment
des repas. À cause de ce médicament – la carbamazépine – je devais
aller tous les mois à l’hôpital, avec lui, pour une prise de sang vérifiant les
effets secondaires qui pouvaient affecter mon foie. Mon père était un partisan
farouche de la ponctualité et nous étions toujours dans la salle d’attente de l’hôpital
au moins une heure avant le rendez-vous. Il m’achetait toujours un verre de jus
d’orange et des cookies. Les chaises étaient en plastique, inconfortables, mais
je me souviens que je ne voulais pas rester debout tout seul. Il me fallait
attendre que mon père se lève avant de me lever moi-même. Il y avait beaucoup
de chaises et je passais le temps en les comptant.
Quand l’infirmière appelait mon nom, mon
père m’accompagnait dans une
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