Je suis né un jour bleu
demi-million de livres, des magasins et des services au
rez-de-chaussée, des salles de lecture au-dessus et un auditorium de trois
cents places. Étant donné mon amour persistant des livres et le souvenir des
années passées à lire dans mes petites bibliothèques municipales, j’avais l’impression
d’être au paradis.
La lumière du jour baignait ce vaste
endroit et je ressentis le picotement familier de la tranquillité en moi. Les
bibliothèques ont toujours eu le pouvoir de m’apaiser. Il n’y avait pas de
foule, juste de petits paquets d’individus en train de lire, d’aller d’une
étagère à une autre, d’une table à une autre. Il n’y avait pas de bruit
intempestif, seulement celui du gentil feuilletage des pages ou de la
discussion à voix basse entre amis ou collègues. Je n’avais jamais vu ni été
dans une bibliothèque comme celle-là auparavant. Il me semblait que c’était le
palais enchanté d’un conte de fées.
Au rez-de-chaussée, on me demanda d’attendre
sur un banc et je comptai les rangées de livres et les gens qui passaient en
silence. J’aurais pu rester assis des heures. Le réalisateur vint me chercher
et nous prîmes l’ascenseur pour le deuxième étage. Là, ce n’étaient que rangées
de livres sur rangées de livres, aussi loin que le regard pouvait porter. Un
homme âgé s’approcha et me serra la main. Il se présenta comme Fran Peek, le
père de Kim et celui qui s’occupait de son fils à plein-temps.
Kim Peek est un miracle. Quand il est né
en 1951, les médecins dirent à ses parents qu’il ne marcherait jamais, qu’il ne
pourrait pas apprendre quoi que ce soit et qu’il valait mieux le placer dans
une institution. Kim était né macrocéphale en raison d’une poche d’eau dans le
crâne, qui de plus avait endommagé son hémisphère gauche – impliqué dans
la parole et le langage. En 1988, au cours d’un scanner, les neurologues
découvrirent qu’il ne possédait pas de corps calleux, la membrane qui sépare
les deux hémisphères du cerveau. Et pourtant, Kim avait été capable de lire dès
16 mois et termina le lycée à 14 ans.
Kim a mémorisé une grande quantité d’informations
sur plus d’une douzaine de sujets, depuis l’histoire et la chronologie jusqu’à
la littérature, le sport, la géographie et la musique. Il peut lire deux pages
d’un livre simultanément, une page pour chaque œil, en retenant tout ou presque
à la perfection. Kim a lu plus de neuf mille livres en tout et peut se rappeler
leur contenu. Il est aussi doué pour le calcul calendaire.
En 1984, Kim et son père ont rencontré le
producteur Barry Morrow à une conférence organisée par l’Association of
Retarded Citizens, à Arlington, au Texas. Cette rencontre déboucha sur le film Rainman. Dustin Hoffman passa une journée avec Kim et fut si impressionné
par ses dons qu’il supplia Fran de partager son fils avec le monde entier. Depuis
cette époque, Kim et son père ont traversé les États-Unis en tous sens et parlé
à plus d’un million de personnes.
C’était un moment que j’attendais depuis
longtemps. C’était la première fois que je rencontrais et que je parlais avec
une autre personne atteinte du syndrome savant. Fran avait expliqué à son fils
qui j’étais et pourquoi nous étions venus. Le choix de la bibliothèque publique
de la ville s’avéra judicieux : pour moi comme pour Kim, les bibliothèques
sont des endroits particuliers, pleins de calme, de lumière, d’espace et d’ordre.
Après avoir rencontré Fran, je fus
présenté à Kim qui se tenait debout près de son père. Kim est un homme
corpulent d’âge moyen, avec une tignasse de cheveux gris et des yeux perçants
et inquisiteurs. Il saisit rapidement mes bras et se tint très près de moi. « Donnez-lui
votre date de naissance », suggéra Fran. « 31 janvier 1979 », dis-je.
« Tu auras 65 ans un dimanche », annonça Kim. J’opinai et lui
demandai sa date de naissance à lui : « 11 novembre 1951 », répondit-il.
Je fis un grand sourire : « Tu es né un dimanche ! » Le
visage de Kim s’illumina et je sus que désormais nous étions connectés.
Fran avait apporté une surprise pour moi :
l’Oscar obtenu par le scénariste du film Rainman , Barry Morrow, que ce
dernier avait généreusement donné aux Peek. Je tins prudemment la statuette
dans mes mains. Elle était beaucoup plus lourde qu’elle n’en avait l’air. Fran
me demanda de
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