Je suis né un jour bleu
m’éloigner avec lui pour parler de l’enfance de Kim. Nous
installâmes dans de confortables fauteuils en cuir tandis que Kim lisait un
livre. Fran parla avec passion de la réaction des médecins face aux problèmes
de son jeune enfant : « On nous a dit de le mettre dans une
institution et de l’oublier. » Un neurochirurgien offrit même de lobotomiser
Kim pour qu’il se fasse mieux à la vie dans une institution.
Je voulais en savoir plus sur la vie
quotidienne de Kim et je demandai à Fran de me raconter un jour comme les
autres : « Kim parle avec sa mère au téléphone tous les matins et il
vient ici ensuite pour lire pendant des heures. Le soir, nous allons rendre
visite à l’un de nos voisins, qui est vieux, et auquel Kim fait la lecture. »
Je lui demandai ce qu’il en était des
tournées de conférences de Kim. « Nous voyageons toujours ensemble et nous
ne demandons jamais d’argent. Nous nous rendons dans des écoles, des facultés
et des hôpitaux. Kim peut répondre à presque toutes les questions qui lui sont
posées : dates, noms, statistiques, codes postaux. Il n’y a qu’à demander.
Le public le questionne et il leur livre toujours l’information, parfois même à
ma grande surprise. Il n’est presque jamais pris en défaut. Son message est
celui-ci : Vous n’avez pas besoin d’être handicapé pour être différent, car
nous sommes tous différents. »
Nous terminâmes notre entretien et je pus
parler seul à seul avec Kim entre les rangées de livres de la bibliothèque. Kim
prit ma main alors que nous marchions. « Tu as le syndrome savant comme
moi, Daniel », dit-il avec enthousiasme et il me serra la main. Déambulant
entre les étagères, je remarquai que Kim faisait de brèves pauses, prenait un
livre pour le feuilleter comme s’il le connaissait déjà, puis le remettait en
place. En lisant, il murmurait parfois un nom ou disait une date, à voix haute.
Il n’y avait que des essais, les romans ne semblaient pas l’intéresser, un
point commun entre nous.
« Qu’est-ce que tu préfères ici, Kim ? »
lui demandai-je. Sans dire un mot, il me conduisit à une section pleine de
livres épais, reliés de cuir rouge. Il s’agissait des annuaires du comté de
Sait Lake. Kim en prit un et s’assit à une table voisine. Il avait avec lui un carnet et un stylo et copia
quelques noms et quelques numéros. Je le regardai et lui demandai s’il aimait
les nombres, lui aussi. Il approuva lentement, plongé dans ses notes.
Je m’assis avec Kim et je me rappelai qu’il
adorait qu’on lui pose des questions historiques, un de ses domaines de
prédilection. « En quelle année Victoria devint-elle reine d’Angleterre ? »
Kim me répondit immédiatement « 1837 ». « Quel âge aurait
aujourd’hui Winston Churchill ? » « Cent trente ans. » « Et
quel jour de la semaine serait son anniversaire cette année ? » « Ce
serait un mardi, le dernier du mois de novembre. »
Supervisés par Fran et l’équipe de télévision,
nous descendîmes au rez-de-chaussée où Kim m’expliqua, en les montrant du doigt,
ce que contenaient les différentes étagères de livres. Nous sortîmes au soleil
éclatant de l’après-midi et restâmes là, debout, Kim prenant encore une fois
mes mains dans les siennes. Il me regarda dans les yeux et dit : « Un
jour tu seras aussi grand que moi. » C’était le plus beau compliment qu’on
m’ait jamais fait.
J’acceptai d’aller dîner avec Fran et Kim
dans un restaurant local. Kim me raconta le souvenir qu’il avait de Dustin
Hoffman et comme il avait été impressionné par les talents de Kim et par la
chaleur de son caractère. Le père comme le fils soulignèrent l’importance de
continuer à faire connaître les capacités de Kim parce que c’était un message
de tolérance et de respect à destination du plus grand nombre possible.
Nous abandonnâmes Fran et Kim à regret. Chaque
membre de l’équipe avoua que la rencontre avec Kim et son père avait été
bouleversante. Leur histoire d’amour inconditionnel, de sacrifice et de persévérance
dans l’adversité était très émouvante. Pour moi, c’était tout simplement une
expérience inoubliable. Kim m’avait rappelé combien j’avais de la chance, en
dépit de mes difficultés, de vivre dans une sorte d’indépendance qui ne lui
était pas permise. Cela avait été également une joie de rencontrer quelqu’un
qui aimait autant que moi
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