Je suis né un jour bleu
l’avantage
sur le croupier, renchérissant sa mise quand le compte est bon (si, par exemple,
il reste beaucoup de figures dans le paquet) et restant prudent quand il est
mauvais. Dans sa forme la plus simple, compter les cartes revient à attribuer
des valeurs aux cartes, positives pour des cartes médiocres comme 2 ou 3, et
négatives pour d’autres comme les 10. Celui qui compte repère les valeurs de ce
qui a été distribué pour pouvoir estimer ce qu’il reste à distribuer et évaluer
ses risques.
Compter les cartes n’est pas facile et
même des joueurs chevronnés et très doués ne gagnent pas plus de 1 % de ce
qu’ils misent. Les casinos, de plus, bannissent souvent ceux qu’ils suspectent
de compter les cartes. Notre table utilisait de toute façon un sabot de huit
jeux de cartes, c’est-à-dire quatre cent seize cartes, de façon à minimiser les
risques.
Les casinos sont des environnements
bruyants et distrayants pour jouer, et mon principal défi était d’essayer de me
concentrer. Lorsque je m’assis sur ma chaise, en face du croupier, je ne
regardai que le sabot, fixant intensément les paquets prêts à être ouverts, battus
et empilés pour le début du jeu. Les caméras attiraient les curieux et bientôt
j’eus une véritable foule autour de moi.
Il était prévu que je joue pendant un
temps déterminé à l’avance. Le casino avait réservé la table, de sorte que je
sois seul à jouer. Le croupier contre moi. Voulant tout d’abord sentir le jeu, je
commençai par prendre des décisions simples fondées sur les différentes cartes
distribuées : je déclarais être « servi » si j’avais un 10 et un
8 et « carte ! » si j’avais un 3 et un 9 (sauf si la carte découverte
du croupier était un 4, un 5 ou un 6), une technique connue sous le nom de « stratégie
de base ».
Même quand le joueur suit la stratégie de
base de manière optimale, le croupier a toujours un avantage statistique. Petit
à petit, mon tas de jetons diminua sérieusement. En revanche, je sentais mieux
le jeu, je prenais des décisions plus rapidement et j’étais plus à l’aise. Je
décidai alors soudain de jouer à l’instinct, suivant l’expérience visuelle que
j’avais des nombres dans ma tête, de leurs paysages avec leurs gouffres et
leurs pics. Quand la ligne du paysage s’élevait, je jouais de manière plus
agressive, et vice versa.
Un changement se produisit alors : je
gagnais plus souvent et avec des mains plus surprenantes. Je me détendais et je
commençais à prendre plaisir à jouer. À un certain moment crucial, le croupier me donna une paire de 7
tandis qu’il tirait un 10. La stratégie de base me poussait à annoncer « carte ».
Mais j’écoutai mon instinct et séparai ma paire en doublant ma mise de départ. Le
croupier me donna un troisième 7. Je demandais si je pouvais séparer ma paire
encore une fois. Le croupier manifesta sa surprise – il est extrêmement
rare de jouer contre le 10 du croupier. La paire fut séparée : j’avais désormais
trois mains de 7 sur la table, j’affrontais un 10 et ma mise était triplée. Derrière
moi, j’entendis le public exprimer sa désapprobation. Un homme remarqua même à
haute voix : « Qu’est-ce qu’il a à séparer des 7 contre un 10 ? »
Le croupier distribua des cartes pour les trois mains - 21 pour la première. Il
continua : un autre 21. Finalement, la dernière main : encore 21. Trois
21 de suite en une seule main contre le croupier. J’avais comblé toutes mes
pertes et fait sauter la banque.
Cependant je fus content de quitter Las
Vegas. Il faisait trop chaud, il y avait trop de monde et trop de lumières
éblouissantes. Le seul moment où je m’étais senti à l’aise, c’était avec les
cartes. Je ressentais un terrible mal du pays et, de retour à l’hôtel, j’appelai
Neil de ma chambre et j’éclatai en sanglots en entendant le son de sa voix. Il
me dit que j’agissais comme il fallait et que je devais continuer. Il était
fier de moi. Je ne savais pas encore que le moment le plus important et le plus
particulier de tout le voyage était encore à venir.
Le lendemain, nous nous rendîmes en avion
à Sait Lake City, capitale de l’Utah et de la religion mormone. De l’hôtel à la
bibliothèque publique, il n’y avait qu’un pas. Le bâtiment était extraordinaire :
six murs arrondis et transparents pour une surface de vingt-deux mille mètres
carrés et plus d’un
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