Jeanne d'Arc Vérités et légendes
est
une entreprise de promotion de Claude des Armoises, cette fille qui, de 1436 à
1440, s’est faite passer pour Jeanne en Lorraine et dans la vallée de la Loire.
Quitte à transformer cette aventurière en fille dévouée et en sage épouse,
conformément aux canons de la morale bourgeoise ! Dans l’entre-deux-guerres,
le mythe pouvait donc priver Jeanne soit de sa naissance, soit de sa mort.
Après 1945 et la captation du souvenir de Jeanne par le
Front national, les choses changent. Il n’y a plus d’histoire officielle de
Jeanne (les lois mémorielles visent plutôt la Shoah ou l’esclavage) et la
recherche a retrouvé toute sa liberté. C’est une bonne nouvelle. En revanche,
sur le terrain du mythe, la seule nouveauté importante est la coordination
entre eux des thèmes bâtardisants et survivalistes dans les années 1950. C’est parce
qu’elle est la fille de Louis d’Orléans et d’Isabeau que Jeanne peut survivre
sous l’identité de Claude des Armoises.
Privée de sa vie et de sa mort, que reste-t-il à
Jeanne ? D’autant que les mythographes ne racontent son parcours que
d’après les textes bourguignons, qui lui sont hostiles. Ce n’est pas une Jeanne
à taille humaine comme la souhaitait Anatole France, mais une Jeanne a
minima, désespérément banale. Peut-être notre société fascinée par les
« people » n’admire-t-elle plus les héros ? Derrière la Pucelle,
on cherche alors l’ombre de la reine Yolande ou de l’ordre franciscain. À la
manipulation, thématique, ancienne succède une théorie généralisée du complot
proche du Da Vinci Code . Les mythes sont décidément une chose trop
sérieuse pour être confiés aux seuls mythographes, et c’est ainsi que j’ai
décidé d’écrire ce livre.
1
Pourquoi la guerre ?
L’an 1429
Entre 1316 et 1328, les trois fils de Philippe IV le
Bel [19] moururent l’un après l’autre, en moins de treize ans, sans laisser d’héritier
mâle.
Le dernier des fils (Charles IV) disparu, les barons
français choisirent d’attribuer la couronne à Philippe de Valois, le plus
proche parent par les hommes du dernier Capétien direct. Mais un autre
prétendant était possible, le jeune roi d’Angleterre Edouard III,
petit-fils de Philippe IV par sa mère, la reine Isabelle. L’Anglais
pouvait se dire plus proche en degrés du bon roi Saint Louis. La succession à
la couronne de France était encore réglée surtout par la coutume, qui
n’excluait clairement ni les femmes ni les fils des femmes. À ses débuts, la
guerre de Cent Ans [20] fut donc tout simplement un conflit féodal qui opposait deux prétendants au
même héritage, la couronne de France.
Une couronne en jeu
Edouard accepta d’abord de prêter hommage à son cousin pour
ses fiefs continentaux de Guyenne. Mais, dès que la guerre éclata, il prit le
titre de roi de France et les armes aux fleurs de lys. Ses victoires sur mer
comme sur terre (Crécy en 1346, Poitiers en 1356 où Jean II fut fait
prisonnier) forcèrent le roi de France à accepter le traité de Brétigny qui
entérinait la supériorité des Plantagenêts. Edouard III tenait désormais
en toute souveraineté un immense duché d’Aquitaine courant de Bayonne à
Poitiers, le Ponthieu, dot de sa mère Isabelle, et Calais, dont il s’était
emparé en 1347. En contrepartie, il devait renoncer à la couronne de France.
Mais les renonciations (des Anglais à la couronne et des Français à la
souveraineté sur la Guyenne) ne furent jamais échangées. Charles V et Du
Guesclin reprirent entre 1372 et 1380 pratiquement toutes les conquêtes
continentales du roi Edouard. Un répit particulièrement bienvenu s’ouvrit alors
pour une vingtaine d’années.
Peut-être la paix se fût-elle prolongée de trêve en trêve si
le roi Charles VI n’était pas progressivement devenu fou à partir de 1392.
La reine Isabeau fut incapable de maîtriser au Conseil royal la rivalité entre
le duc Louis d’Orléans, frère du roi, et le duc de Bourgogne Philippe le Hardi,
son oncle. Qui aurait la direction du Conseil ferait en effet sa propre
politique, mais aurait aussi accès au Trésor et aux pensions, et nommerait ses
affidés aux postes stratégiques. La guerre civile conduisit dès 1407 à
l’assassinat de Louis d’Orléans par les sbires du nouveau duc de Bourgogne,
Jean sans Peur, partisan d’une alliance avec l’Angleterre qui permettrait aux
tisserands de Flandres de
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