Jeanne d'Arc Vérités et légendes
toute sa puissance dans la vallée
de la Loire et des sympathies dans l’est de la France jusqu’à Vaucouleurs. Ses
chefs étaient otage en Angleterre (Jean d’Angoulême), prisonnier depuis
Azincourt (l’aîné Charles, le prince poète), ou décédé prématurément. Jean,
bâtard d’Orléans, défendait de son mieux les intérêts des absents. La maison
d’Anjou était représentée par la reine Yolande, veuve depuis 1417. Elle avait
marié l’une de ses filles, Marie, au dauphin. Les Angevins étaient très fidèles
à Charles, tant qu’il s’agissait de défendre le Maine et l’Anjou. Mais ils
avaient aussi leur propre politique. Ils étaient comtes de Provence et rois des
Deux-Siciles. À chaque génération, l’aîné tentait sans succès la reconquête de
son royaume. Il y mourait ruiné. Ainsi étaient morts Louis II en 1417 et
Louis III en 1434. Du second, René, la reine Yolande avait fait un
héritier du duché de Bar par adoption et du duché de Lorraine par mariage. Au
printemps de 1429, René d’Anjou venait de prêter fidélité au duc de Bedford
pour assurer la succession de Bar. Le Bourbonnais était géré par Marie de
Berry, dont l’époux, le duc Jean, était prisonnier en Angleterre et allait y
mourir. La duchesse louvoyait entre la Bourgogne et le dauphin, cherchant à
assurer la neutralité de ses États. La Bretagne du duc Jean V penchait
pour l’alliance anglaise, traditionnelle chez les Montfort. En somme, le jeu
était ouvert et nul ne savait de quel côté pencherait le balancier.
La deuxième France était celle du dauphin qui n’avait pas
accepté le traité de Troyes. Il s’était proclamé roi de France à la mort de son
père. Il n’avait pu être sacré, puisque Reims se trouvait en terre anglo-bourguignonne.
Le royaume de Bourges était certes étendu, puisqu’il comprenait toutes les
terres au sud de la Loire à l’exception de la Guyenne, possession anglaise, et
de surcroît, de l’autre côté du Rhône, le Dauphiné, l’apanage des héritiers du
trône. Il comptait plusieurs grandes villes, dont Bourges et Poitiers, ses deux
capitales, ou les centres commerciaux actifs qu’étaient Lyon, Toulouse et
Montpellier. Pourtant, ses ressources n’étaient pas meilleures que celles de
Bedford. Charles était lui aussi incapable d’une grande et longue campagne
militaire. Qui plus est, il écoutait, suivant les jours, les Armagnacs ou les
Angevins, le connétable de Richemont ou son favori Georges de La Trémoille. Sa
politique oscillait sans cesse entre la guerre, que certains voulaient dans son
entourage, et la conviction que seul un accord avec les Bourguignons
permettrait de chasser les Anglais. D’où une politique en ligne brisée,
parfaitement illisible à l’opinion.
Le problème était, en effet, le troisième larron de cette
histoire, le duc de Bourgogne. L’État bourguignon était une construction
récente constituée par d’habiles mariages et des successions orientées. Au
duché et à la Comté de Bourgogne [21] Philippe le Hardi avait ajouté, par mariage, la Flandre et l’Artois. Plus tard
s’y ajoutèrent Hainaut et Brabant, Hollande et Luxembourg. Les ducs
contrôlaient les régions les plus riches et les plus urbanisées d’Occident. Ils
s’étaient longtemps pensés comme des princes français, cherchant à dominer le
gouvernement royal. Philippe le Bon enrageait peut-être encore d’avoir dû
laisser Paris à son beau-frère Bedford, mais il s’employait aussi à constituer
une principauté autonome entre France et Empire. Être roi sans en avoir pour
autant le titre lui convenait. Pour cela, il essayait de créer un pont entre
les deux blocs de territoires qui étaient sous sa domination. Le Barrois et la
Lorraine, qui s’interposaient et étaient nécessaires à son projet, devinrent
des zones stratégiques et disputées. Les routiers qui faisaient peur à Jeanne
dans son enfance mosane n’étaient donc pas des Anglais, mais des Bourguignons.
Les années 1428-1429 furent très incertaines. La situation
pouvait basculer d’un côté ou de l’autre. Les deux camps étaient pareillement
épuisés par la guerre, comme par la crise démographique et économique. En un
siècle, France et Angleterre avaient perdu la moitié de leur population. Un
profond sentiment de lassitude était apparu devant les dévastations en tout
genre (villages brûlés, bétail razzié, femmes violées) que la guerre
prodiguait, année après
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