Jeanne d'Arc Vérités et légendes
L’historien et les
médias : un malentendu
Il y a plus d’un an, mes collègues spécialistes de Jeanne
(Philippe Contamine, Olivier Bouzy [1] ,
Françoise Michaud, Ann Curry) et moi-même avons été sollicités pour répondre à
des questions dans le cadre d’un documentaire sur la vie de la Pucelle à
diffuser sur Arte [2] .
Il ne nous est pas venu à l’idée de refuser. Après tout, la vocation de
l’universitaire n’est pas de trouver pour trouver, mais de trouver pour dire
aux autres, ses collègues, ses étudiants, ses lecteurs. Et Arte est la chaîne
préférée des universitaires.
Les interviews sont longues et se déroulent dans le cadre
austère de la salle Labrousse de la Bibliothèque nationale, rue de Richelieu,
le seul endroit où l’on puisse filmer les manuscrits de la Bibliothèque du roi
conservés à l’étage supérieur. Les questions sont très traditionnelles. Mais
nous ne les choisissons pas. Nous ne sommes pas maîtres non plus de nos
réponses, qui peuvent être coupées, accolées à une voix off qui les dément ou à
un argument auquel nous ne pouvons pas répondre, puisqu’on ne nous l’a pas
soumis. Nous ne savons d’ailleurs pas que le journaliste Marcel Gay [3] participe à l’émission.
Un an se passe, le documentaire devient un « docu-fiction »,
mais nous n’en savons rien. Nous ne le découvrons que huit jours avant la
diffusion et trop tard, paraît-il, pour que des modifications soient possibles
ou le débat organisé.
Que faire ? Il y a un côté comique à cette affaire.
Nous avons servi de caution intellectuelle, indispensables mais négligeables,
tous alignés dans l’obscurité verdâtre de notre chère bibliothèque, savants
presque desséchés au milieu de nos livres, cherchant à nuancer nos propos,
tandis que M. Gay est filmé cheveux au vent sur fond de vallée mosane déclinant
à tout va des affirmations qui ne sont en fait que des hypothèses. D’un côté
l’immobilité, de l’autre le mouvement, d’un côté les universitaires ringards,
et de l’autre le journaliste aux prises avec le réel… L’image a ce pouvoir.
Là-dessus surviennent les fêtes de Jeanne d’Arc à Orléans,
où le documentaire est projeté le 5 mai 2008. Nous en profitons pour dire notre
désaccord absolu avec les théories de M. Gay telles qu’elles apparaissent dans
le film d’Arte. Auparavant est parue, signée de nous, une tribune dans un grand
quotidien national.
« Ces thèses qui relèvent du coup médiatique ne sont,
en effet, ni nouvelles ni fondées. Les théories survivalistes remontent à
l’érudit G. Vignier qui, au XVII e siècle, écrivait pour les descendants de la dame des Armoises. Cette
aventurière de haut vol a un parcours fort intéressant mais elle n’est pas
Jeanne d’Arc. Quant à la thèse de la naissance royale, elle découle des écrits
plus tardifs d’un sous-préfet napoléonien. Rien qui n’ait déjà été plusieurs
fois exposé et réfuté, archives à l’appui.
« Par ailleurs, Jeanne est bien née à Domrémy, dans une
famille paysanne aisée, comme le prouvent les procès. Certes, elle n’est pas
bergère mais toutes les filles qui ne sont pas bergères ne sont pas pour autant
des filles de roi. Sa mort sur le bûcher, le 30 mai 1431, est, elle aussi,
parfaitement attestée par des mentions contemporaines. Il y a en histoire des
faits, sur lesquels on ne peut pas transiger.
« Il y a longtemps aussi qu’il n’y a pas de vérité
officielle en matière d’histoire de Jeanne d’Arc. Son environnement religieux,
sa culture lettrée ou non, son rôle militaire ou politique, son refus du modèle
féminin de son temps, sont autant de sujets qui ont été librement discutés et
largement renouvelés ces dernières années [4] . »
Donc, nous étions assez contents de nos réponses. Trop tôt…
À la fin de la séance, un journaliste de France 3 m’interviewe. Pour toucher le
grand public, il faudrait bien, suggère-t-il, accepter quelques arrangements
avec la vérité. C’est à ce moment-là que j’ai compris, grâce à lui, qu’il y
avait un réel problème scientifique. Dans la société actuelle, peut-on accepter
qu’il y ait en parallèle une histoire pour les élites et une autre pour le
« vulgaire » ? Là, je n’ai plus trouvé les choses drôles. Après
tout, je saurais peut-être trouver les mots… J’en ai ouvert les livres de Gay
et de bien d’autres mythographes.
Questions
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