Joséphine, l'obsession de Napoléon
vraisemblables de sa stérilité. Elles entraient dans le corps du récit.
La fiche médicale de Napoléon, elle, ne s’insérait pas directement dans le récit ; en voici un résumé. Trois rubriques y accrochent l’attention. La première est celle de la neurologie : depuis l’École militaire de Brienne, Bonaparte accusait des symptômes inusités : à cette école, il tomba soudain par terre. Simple évanouissement, pourrait-on supposer ; le jeune homme n’étant guère de forte constitution n’aurait pas supporté un effort trop grand. Mais il s’évanouit de nouveau, publiquement, en novembre 1799, après avoir été malmené par les Cinq-Cents, à Saint-Cloud ; son inconscience est alors presque totale. La bousculade fut certes forte et dangereuse, mais alors on eût dû compter bien plus de pertes de connaissance. Puis, entre janvier 1803 et septembre 1805, on dénombre trois attaques, dont celle qui épouvanta la comédienne Duchâtel.
Certains auteurs (dont F. Cartwright) ont évoqué l’épilepsie. Dans ce cas, il s’agirait d’une épilepsie localisée, qu’on appelait autrefois « petit mal », et dont l’évolution est variable au cours de la vie. Le diagnostic semble d’autant plus plausible que Napoléon subissait des absences ou des crises de somnolence soudaines qui allèrent s’accusant. Témoins et mémorialistes se sont émerveillés de la capacité de récupération immédiate du grand homme, qui pouvait s’endormir en voiture ; élogieuse interprétation d’un symptôme morbide : « Le 7 mai 1810, à Gand, lors d’une fête et d’un bal donnés à l’Hôtel de Ville, Napoléon s’endormit sur son trône. »
Cette affection doit être rapprochée des migraines tenaces, qui se manifestèrent dès la fin de la campagne d’Italie, en 1796. Peut-être étaient-elles dues à l’effort physique et intellectuel intense auquel
Napoléon s’astreignit si fréquemment au cours de sa vie, et qui aurait causé de l’hypertension. Mais ce sont des conséquences et non des causes du déséquilibre. Il semble difficile de séparer ces deux troubles de l’altération visible du caractère, qui ne cessa de s’accuser jusqu’à la fin de sa vie. Ses accès de colère, souvent irrationnelle et frisant la psychose, comme dans l’épisode de la modiste qu’il fit arrêter et jeter en prison, allèrent se multipliant et son langage devint de plus en plus grossier. On ne peut dès lors exclure que son état de santé ait modifié son comportement politique autant que son comportement affectif et intime.
La déduction en est consternante : Napoléon a souffert dans les dernières années de son règne d’accès psychotiques, dont il est impossible d’évaluer aujourd’hui la fréquence et les conséquences. La France a été gouvernée pendant dix-huit années par un génie militaire cliniquement dément par intermittence. L’Europe en a subi les effets. La France aussi : elle y a perdu plus d’un million d’hommes et son rang de nation la plus peuplée d’Europe, avec les conséquences historiques qu’on sait.
La deuxième rubrique est celle du système génito-urinaire. Napoléon souffrit de difficultés de miction de plus en plus fréquentes et pénibles ; son état-major en fut témoin. On a évoqué, pour les expliquer, une maladie vénérienne ; vu le mode de vie erratique du sujet, il semble plus vraisemblable de les attribuer à des calculs rénaux ou urinaires.
Son système génital et son comportement sexuel ont inspiré une littérature relativement abondante, depuis la publication de l’autopsie, largement divulguée, on s’en doute, par les Anglais. On releva, en effet, une atrophie des organes génitaux. Les rumeurs sur son insuffisance séminale étaient déjà répandues dans certains milieux français, ainsi qu’en atteste l’impertinence de la Duchâtel sur le fait qu’il était un « bon à rien » (c’étaient les termes de l’époque). C’est l’occasion d’aborder ici un fait souvent esquivé par les historiens : Jean Savant a recensé cinquante et une maîtresses de Napoléon, dont douze dames de la cour et quatorze actrices ; avec un pareil palmarès, il eût compté une surabondance d’enfants illégitimes ; or deux seulement lui ont été attribués, ceux d’Éléonore Denuelle et de Marie Walewska. J’ai dit les raisons de douter de leur paternité, la première ayant aussi reçu les hommages nocturnes de Murat et la
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