Joséphine, l'obsession de Napoléon
1
Le sacrifice
Un froid de gueux, insidieux et puant la misère et le chagrin, régnait sur Paris ce 15 décembre 1809 au soir. S’ils s’arrêtaient parfois dans la rue, bien rarement, pour échanger quelques propos, les passants évoquaient l’horreur de l’hiver précédent, où la température était tombée à -21 ºC dans la capitale. Et que dire de la terrible disette : le bois et les vivres s’étaient raréfiés jusqu’à disparaître car le ravitaillement s’était interrompu. Même s’ils ne se trouvaient qu’à deux lieues des villes, les fermiers et les marchands ne voulaient plus s’aventurer sur les chemins enneigés.
Aussi le feu dansait-il dans toutes les cheminées du palais des Tuileries. Des flammes plus douces palpitaient sur les lustres, candélabres et bras de lumière, faisant pleurer la cire et scintiller les bijoux des femmes et les galons et passementeries des costumes d’apparat masculins. Majestés et Excellences arrivaient en petits groupes depuis 20 heures et emplissaient la salle du Trône. Rois d’Europe, princesses étrangères, princes d’Empire, officiers du Conseil privé, dames de l’impératrice, dames d’honneur des princesses.
Puis apparut Madame Mère, Laetitia, le pas fragile, voûtée sous sa pelisse de martre, escortée de près par sa dame d’honneur et précédant deux de ses fils, Louis, roi de Hollande, et Jérôme, roi de Westphalie, avec leurs épouses, Hortense de Beauharnais et Catherine de Wurtemberg. Puis Pauline et Caroline, soeurs de l’Empereur, accompagnées de leurs époux, le prince Camille Borghèse, duc de Guastalla, et le maréchal
Joachim Murat, roi de Naples. Puis encore Eugène de Beauharnais, vice-roi d’Italie.
Ne manquaient à l’appel que Lucien, prince de Canino, disgracié, Maria-Anna, dite Élisa, grande-duchesse de Toscane, et Joseph, roi fantoche d’Espagne après avoir été roi de Naples. Mais celui-ci s’était fait représenter par son épouse Julie, soeur de Désirée Clary, l’une des premières flammes de l’Empereur et désormais épouse du général Bernadotte, prince de Pontecorvo.
Une troupe de spectres endiamantés, guettant du haut du ciel l’arrivée au Purgatoire d’une âme pécheresse.
Quelques instants plus tard, l’archichancelier Cambacérès, poudré et l’oeil fardé comme à l’ordinaire, faisait son entrée, suivi de Regnaud de Saint-Jean-d'Angély, secrétaire d’État de la Maison impériale.
L’air se chauffait imperceptiblement, mais les conversations étaient étouffées et les mines graves.
Le silence s’abattit sur l’assemblée à l’entrée de l’Empereur et de l’impératrice. Ils prirent place sur leurs trônes. Masque figé, l’Empereur se leva.
— Dieu sait, déclara-t-il, combien une pareille résolution a coûté à mon coeur. Mais il n’est aucun sacrifice qui soit au-dessus de mon courage lorsqu’il m’est démontré qu’il est utile au bien de la France. J’ai besoin d’ajouter que, loin d’avoir jamais eu à me plaindre, je n’ai au contraire qu’à me louer de l’attachement et de la tendresse de ma bien-aimée épouse. Elle a embelli quinze ans de ma vie. Le souvenir en restera toujours gravé dans mon coeur. Elle a été couronnée de ma main : le rang et le titre d’impératrice couronnée demeureront, mais surtout qu’elle ne doute jamais de mes sentiments et qu’elle me tienne toujours pour son meilleur et son plus cher ami.
Et il se rassit.
Le visage blafard de l’archichancelier s’était mué en un théâtre d’expressions plus rapides qu’un drame de marionnettes. Joséphine devait parler ou, plus exactement, lire un texte.
— « Avec la permission de notre auguste et cher époux… », commença-t-elle.
Et les larmes l’étouffèrent. Les sanglots la secouèrent.
Madame Mère pinça les lèvres dans une expression de vengeance. Caroline fit une moue à peu près pareille.
Joséphine tendit le texte à Saint-Jean-d'Angély, debout au pied de l’estrade. Il lut ceci :
— « … je dois déclarer que, ne conservant aucun espoir d’avoir des enfants qui puissent satisfaire les besoins de sa politique et l’intérêt de la France, je me plais à lui donner la plus grande preuve d’attachement et de dévouement qui ait jamais été donnée sur la terre. Je tiens tout de ses bontés et, du haut de ce trône, je n’ai reçu que des témoignages d’affection et d’amour du peuple français. Je crois
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