Joséphine, l'obsession de Napoléon
l’Empire. Il désapprouvait le sacrifice.
2
« Votre second mari emplira
le monde de sa gloire… »
Troncs noirs et nus s’élevant comme des gibets des parterres blancs, que la pluie commençait à détremper, la vue des jardins de l’Élysée-Napoléon n’incitait guère à la contemplation. Car, sur l’avis du maître des équipages, jugeant les chemins trop enneigés, l’impératrice n’avait pas été à la Malmaison, mais à ce palais jadis appelé Élysée-Bourbon.
Et pourtant ce paysage désolé retenait le regard de Joséphine : il symbolisait la réalité. Pis : la vérité.
Tout avait été factice.
À commencer par les déchirants adieux de la veille : les intentions de Napoléon lui avaient été annoncées lors d’un entretien requis par Fouché, le ministre de la Police générale, un dimanche à Fontainebleau, après la messe.
— Madame, la vérité visible de tous ne peut être ignorée de vous : la dynastie a besoin d’héritiers.
Le choc avait laissé Joséphine muette pendant un long moment. L’amitié qu’elle avait perçue dans le ton de Fouché ne laissait aucun doute sur ses intentions. Il n’avait jamais varié depuis ces temps difficiles qu’elle avait connus à sa sortie de prison : lui, le policier terrible, avait été secourable, il lui avait même glissé parfois dans la main un rouleau d’or, quand ils se rencontraient au Palais-Royal. Mais aussi, elle lui avait été utile, car elle connaissait bien des gens en vue et l’informait sur leurs faits et dires.
— Le divorce pourrait être long et pénible pour Vos Majestés. Mon sentiment est que, si vous rassembliez votre courage et demandiez vous-même la répudiation, vous allégeriez la souffrance de l’Empereur. Il paraîtrait de la sorte s’incliner devant votre sagesse et votre bonté.
Elle ? Elle demander la répudiation ? Mais c’eût été s’arracher le coeur !
Les jours passèrent et elle y chercha les exorcismes qui chasseraient le spectre d’une séparation et, pour commencer, les retours de flamme de Napoléon, ces sourires qui semblaient tout nier et ces rares nuits où, au terme des conseils, il lui faisait l’amour comme jadis, chez elle au 5, rue Chantereine. Il n’était alors que le jeune « général Vendémiaire », mais déjà célèbre. Hâve, crotté, malhabile mais fougueux, étouffant les cris de sa maîtresse par un baiser sans fin…
À vrai dire, ces épanchements s’étaient amenuisés jusqu’à disparaître totalement après la bataille de Wagram. Quand il avait regagné Paris, fin juillet, sa victoire sur l’archiduc Charles et les Autrichiens l’avait changé.
Depuis, plus d’étreintes.
Le 30 novembre, après dîner, il avait lui-même proclamé ses intentions dans leur crudité originelle. Il avait demandé qu’on les laissât seuls et lui avait déclaré sèchement qu’il comptait divorcer rapidement parce qu’il voulait avoir des enfants ; c’était l’exigence de sa dynastie. Sa dynastie : avait-elle assez entendu ces mots ! Elle avait poussé les hauts cris, avait fondu en larmes, s’était roulée par terre et sentie proche de l’évanouissement.
Il avait aussi déclaré qu’il l’avait aimée quatorze ans – comme s’il lui avait versé une rente ! – et qu’ils seraient désormais amis. Elle avait regagné ses appartements sans donner son consentement.
Le lendemain au soir, elle avait alors posé ses conditions : elle resterait à Paris et ne souffrirait pas d’en être éloignée. Elle conserverait son rang et ses prérogatives d’impératrice, avec son personnel, son titre, ses gardes, son escorte. Ses dettes seraient payées. Elle garderait la propriété de ses résidences, l’Élysée-Napoléon à Paris, le château et les domaines de la Malmaison, ainsi que le château de Navarre.
Quand elle ne pleurait pas, elle en serrait les dents de colère. Deux jours plus tard, Saint-Jean-d'Angély était venu l’assurer que Sa Majesté consentait à ses exigences et que des actes écrits en seraient garants.
Maigre consolation.
Elle partit alors pour la Malmaison, loin de cette ville dont jadis un bel et jeune amant d’occasion, le philosophe Nicolas Chamfort, lui avait fait le triste portrait : « Paris, ville de délices et de plaisirs où les trois quarts des gens meurent de chagrin. »
Elle ne s’était jamais appelée Joséphine ; ce nom était une invention de Bonaparte depuis 1796. Son
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